UN HOMME QUI CRIE N’EST PAS UN OURS QUI DANSE

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Au pays des étiquettes destinées à rassurer les consommateurs de culture, il en est une qui sévit jusqu'à l'usure. Aussi liras-tu que « Debout dans les cordages », le spectacle programmé le vendredi 5 octobre au CDOI est une lecture concert. Oublie cette soporifique association et ces plaisirs de salon. Alors pourras-tu goûter aux vibrations du verbe natal, plongé dans un écrin de métal. Fatal. 

“Je suis un martiniquais, un africain transporté, mais je suis avant tout un homme (...) qui veut l'accomplissement de l'humanité de l'homme.” Voilà pour Aimé Césaire, communément surnommé poète de la négritude pour avoir exhorté les siens à se tenir debout, dans son long poème « Cahier d'un retour au pays natal ». Nous sommes en 1947.

Marc Nammour, lui, a des origines libanaises. Exilé dans le Jura ouvrier, le gaillard se définit comme un poète du bitume. Avec ses amertumes. 70 ans plus tard, les mots de Césaire l'écorchent. Ils sont pour lui la conscience aiguë d'une urgente fraternité : « Le texte de Césaire doit permettre à ceux qui sont à genoux de se relever et de gagner leur dignité. ». Voilà pour le fond. Côté forme, Nammour le rappeur slammeur pressent que la fulgurance des vers  libertaires appelle le métal tranchant du rock indépendant. Le duo Zone libre, composé de Cyril Bilbeaud à la batterie et de Serge Teyssot-Gay à la guitare électrique habille la colère des trois réfractaires.

Marc Nammour, qui est un gars sympa, a laissé refroidir son poulet au curry pour répondre aux questions de Bongou. Par ici pour l'interview.

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Qu'est-ce qui vous amène sur l'île de la Réunion?

À l'origine, le projet ne devait pas tourner. C'était une commande pour un festival littéraire au Havre, «  Le goût des autres ». Mais on y a pris un tel plaisir qu'on l'a joué une bonne quarantaine de fois. À partir du moment où on a envisagé de le diffuser ; on savait que pour boucler la boucle, on terminerait nos tournées sur les îles. Histoire de voir comment ça allait réagir. Comme un retour à l'envoyeur. D'où la Réunion. La dernière représentation aura sans doute lieu en Martinique ( Terre natale d'aimé Césaire N.D.R.L)

Pour vous, Cahier d'un retour au pays natal  va au delà de la négritude. C'est un appel à la verticalité contre toutes les formes d'oppression ?

Bien sûr. Ce texte, de la bouche de Césaire lui-même, concerne « la faim universelle ». C'est là la grande élégance de cette pensée. Une parole verticale universelle. Ce texte-là, je suis tombé dessus en terminale. J'avais une prof de philo géniale, mais je n'étais pas très cultivé. C'était une parole très pointue pour moi. Je ne comprenais pas tout, mais je me suis tout de suite senti concerné. Alors certes, je ne suis pas noir mais . . . 

Oui enfin vous emballez pas, vous n'êtes ni très blanc ni très net non plus hein !

(Rires) Vous avez raison. Je ne suis pas très net, je suis d'origine libanaise et lorsque je l'ai découvert, ce texte m'a rendu fier de mes origines sociales. 

À la Réunion, on reproche parfois aux auteurs qui écrivent des pièces sur l'esclavage de nourrir la victimisation. Vous avez déjà entendu de tels propos concernant «  debout dans les cordages »?

Non heureusement. Peut être que personne n'a osé me dire ça en face ( rires ) Plus sérieusement, ce texte n'est absolument pas victimaire. Il est juste. Il est fier. Et il est malheureusement terriblement d'actualité. Cette parole reste ultra contemporaine. D'ailleurs cela a orienté mon  découpage du texte. Mes choix ont été politiques.  

Quelles difficultés avez-vous rencontré pour mettre en voix et en musique un texte aussi mythique ?

Aucune difficulté, c'est tout le contraire. Ça va peut être vous paraitre incroyable que je vous dise ça, mais cette création a été assez . . . magique. Nous n'avons pas eu de difficulté dans la mise en forme parce que nous nous sommes interdit la répétition. En choisissant l'improvisation, nous avons voulu être chargé d'une primeur . . . Alors peut-être que la difficulté se situe à ce niveau-là. Avant chaque spectacle, il faut être centré de la bonne manière avant de commencer. C'est très dense. Il faut une grande écoute. Il faut absolument arriver chargé de ce qu'on va défendre. 

Parmi tous les vers de Césaire, y en a -t-il un que vous mettez au dessus de tous les autres ?

Ah ! oui : « Un homme qui crie n'est pas un ours qui danse. ». C'est une phrase qui me hante depuis le départ, et qui préside à tout mon travail de création. Je suis fatigué du divertissement creux. De ces gens qui te disent : «  Allez ! amuse-nous. Fais ton tour de piste. » Ça ne défend rien. J'attends d'un artiste qu'il ait des coups de colère. La scène artistique n'est pas un espace creux. 

Y a-t-il d'autres textes forts qui vous attirent ? Que vous auriez envie de mettre en voix ?

J'aime beaucoup un texte d'Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société 

Décidément ça se confirme. Vous n'êtes vraiment pas très net comme type.

 (Rires) J'aime aussi beaucoup le travail du poète Nazim Ikhmet. Il a passé 30 ans de sa vie en prison. C'est un humaniste qui avait lui aussi pour idéal de changer le monde. 

La représentation qui vous a le plus marqué ?

Une scolaire à Hénin Beaumont, le fief du Front National. J'appréhendais. Ça a été une vraie rencontre. Quelque chose d'hyper fort. De toutes, la plus magique.

Et si les réunionnais veulent vous rencontrer ?

On  les attend avec plaisir. On sera prés du bar après le spectacle. Et on sera très content de discuter. Surtout, faut pas hésiter. 

Propos mis en forme par Zerbinette avec la précieuse collaboration de Marc Nammour.