QUAND UN ISRAÉLIEN RENCONTRE UN AUTRE ARABE

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Toute la presse culturellement recommandable a présenté “We love arabs” comme une torpille anti-raciste et un manifeste hilarant contre la bien-pensance des milieux de la danse. Ce postulat d'autodérision a fait saliver Bongou mais cette farce irrévérencieuse m'a vite irrité et je sors mon courroux.

Honnêtement, les amis, quelle humiliation de proposer à son partenaire un rôle aussi mutique.

Vraiment, camarades esthètes, quel manque de tact de proposer une interprétation aussi caricaturale de la profession de chorégraphe.

Sincèrement, fidèles spectateurs, quelle indélicatesse de ridiculiser ce danseur arabe avec ces arabesques croquignolesques ;

Sérieusement, chers citoyens, quel gâchis de se tartiner le visage de nourriture en période d'économie de ressources nourricières.

Évidemment, je ne pense pas un mot de ce qui est écrit dans ce premier paragraphe. Cette amorce faussement réac' d'un spectateur qui aurait pris ce spectacle au premier degré n'est là que pour signifier comme l'exercice de la satire peut surprendre mais qu'il devient vite lassant quand on a saisi les ficelles et les répétitions. C'est exactement ce que j'ai ressenti devant cette blague juive un peu trop longue à mon goût.

Sûrement que personne n'avait encore osé s'attaquer à la profession chorégraphique mais ce personnage de despote incarné par Hillel Hogan agace assez rapidement par son verbiage maniéré. L'utilisation abusive de locutions anglaises à la manière d'un Jean-Claude Van Damme autosatisfait fonctionne le temps d'un sketch mais pas sur une heure de spectacle. De plus, ce genre de personnage égotique, pétri de gimmicks a déjà été croqué maintes fois dans des one-man-show avec des interprètes plus charismatiques obligés de multiplier des réparties drolatiques. Je veux bien croire que les paraboles perchées ou autres formules proches de la private joke doivent parler aux gens du sérail sauf que pour le spectateur lambda rapidement ça baille. Franchement, à part deux-trois répliques bien cyniques qui font marrer le public – « C'est quoi ton village, Adi ? – Tel-Aviv...» – on encaisse gentiment les logorrhées de ce chorégraphe à peine plus délurées que la réalité. C'est le gros risque de la parodie : à vouloir trop coller à l'évidence, on s'écarte de l'originalité, ou dans le cas présent, de la causticité.

Deuxième point qui me chagrine, c'est que j'ai l'impression que cette pièce – présentée un peu comme le blockbuster de la rentrée – fonctionne surtout par le storytelling autour de la nationalité de ces deux interprètes et sa volonté décalée d'aborder la coexistence entre Juifs et Arabes. En effet, cette proposition est censée faire “bouger les lignes” par son angle de dénonciation assez original : le chorégraphe juif pompeux veut mettre en mouvement des valeurs de respect et de partage, valeurs qu'il ne cesse de bafouer tout au long de sa répétition foireuse par son comportement narcissique et ses décisions dictatoriales rappelant in extenso celles de l'État d'Israël. Certes, c'est bien vu et ça nous change des propositions emphatiques sur la question mais le sujet n'a-t-il pas étouffé le plaisir du spectateur en attente de rythmiques chorégraphiées et de moments d'hilarité engagée. Pour faire une comparaison locale, est-ce que les journalistes ne se sont pas un peu emballés comme la presse musicale a pu le faire pour un groupe comme les Dizzy Brains ? Je n'ai rien contre ces rockeurs malgaches qui proposent un rock énergique plutôt bien fait mais qui ont construit une partie de leur renommée sur leur nationalité et la difficulté d'exercer leur métier dans ce régime altier. Sans aucune méchanceté, l'impact de cette taquinerie dansée est minime si on la compare aux textes provocateurs de Desproges, aux aphorismes osés de Woody Allen ou aux mythiques joutes d'Elie et Dieudonné.

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Toujours est-il que la performance de Hillel Hogan est assez impressionnante techniquement tant l'alternance de séquences parlées et dansées s'enchaînent à un rythme effréné. Adi Boutrous, dans son rôle de clown blanc, joue à merveille le blasé résigné et son corps manipulé provoque des vrais moments de gaieté, à l'insu de son plein gré. L'ensemble reste divertissant à défaut d'être complètement grinçant.

Et un gentil dernier paragraphe pour montrer que j'ai encore un peu de bonté et que je me réjouis de revenir samedi, à Champ Fleuri, pour tester mon altérité avec la pièce de Nicolas Givran justement intitulée : « Qu'avez-vous fait de ma bonté ? », création pas encore encensée par la presse spécialisée et sans référence à des peuples opprimés.

Manzi