Allez les Filles !* - Épisode II : Putan Club (Samedi 03 Décembre 2022 - StudioTic, Saint Denis)

Putan Club, c'était à la fois un duo sur scène et un couple à la ville. Elle, Gianna Greco, était originaire de Sicile. Lui, François-Régis Cambuzat, franco-italien, avait longtemps vécu à Rome. Mais on sentait bien que toutes ces histoires de nationalités et d'origines n'avaient finalement que peu d'importance. Qu'ils glissaient allègrement sur tout cela. Eux, ils étaient plutôt du genre à se revendiquer ressortissants du monde, citoyens de la Grande Internationale, et nomades des temps modernes. Leur attitude de rockeurs situationnistes, les divers projets qu'ils avaient portés au fil des années et leur itinérance à travers le monde semblaient vouloir en témoigner.

''C'est de la dynamite !'', m'avait prévenu l'ami Mr Occhio. Il avait assisté, quelques jours plus tôt, à la première représentation réunionnaise du duo à la Cerise, lors d'une des dernières soirées organisées par le désormais mythique bar de Saint Paul - la patronne, Isabelle, ayant décidé de raccrocher après plus de 10 années d'activité. Il avait raison. Leur concert, c'était bien de la dynamite. Au StudioTic de Saint Denis, la force de leur représentation et la violence de leur propos m'avait singulièrement bluffé.

 

La mise en scène était du genre implacable. En mode opération coup-de-poing... L'apparition des deux corbeaux magnifiques, s'installant face-à-face dans le public et 'nassant' tout l'auditoire était surprenante. L'allure altière de la bassiste, intouchable vampire dans une robe gothique des plus sexy en imposait. Elle avait d'ailleurs immédiatement capté mon regard, qui s'était, plus ou moins inconsciemment, aventuré vers les recoins de son décolleté, et intraitable, dégourdie et l'air malicieux, elle m'avait intimé l'ordre de me placer à ses côtés pour la durée du concert. Pas très fier, j'avais obtempéré sans broncher, tel le gamin fautif puni et placé à côté du bureau de sa maîtresse d'école. À comparer à un autre niveau de regard - largement plus relevé et admiratif, celui-là - celui du guitariste, qui ne décrocha à aucun moment ses yeux de ceux de sa comparse.

Violence politique, dans les propos du moins... Putan Club se déclarait ouvertement féministe révolutionnaire, et les paroles radicales du morceaux Filles de Mai donnaient le ton (''Au bords du lac, Les filles descendirent à la mitraillette les gros bœufs, Au couteau les gros lourds, les épousables, les queutards, les justes voyeurs, etc...''). Tout un programme, oui, et j'avais sans doute échappé de peu à l'émasculation... Un congénère du public - homme blanc, quadragénaire avancé, mâle alpha, etc... - en fit, lui, en revanche les frais. Il avait amèrement éructé son ras-le-bol du 'wokisme' et montré sa crispation envers le radicalisme du féminisme actuel. La bassiste ne s'était pas laissée démonter, et lui avait rappelé en retour, d'un ton assuré, les luttes contemporaines des iraniennes et des tunisiennes, tandis que le chanteur-guitariste avait posément asséné le coup de grâce en évoquant les récentes positions anti-avortements de la démocratie américaine. Rien ne restait définitivement acquis dans ce triste monde, alors eux, jamais ils ne baisseraient la garde... Double 'Knock-Outé', notre râleur s'était enfui sans demander son reste.

 

Putan Club, c'était aussi la violence d'un déchaînement musical extrême. Le groupe se voulait la synthèse de nombreuses influences sonores. L'indus, l'ethno-tribal, la hard-tek, la noise, le métal, le post-punk, etc... s'y côtoyaient immodérément. Il fallait bien à un moment tirer le fil (rouge) de leur histoire musicale pour cerner pleinement ce groupe.

François-Régis Cambuzat avait débuté le rock'n'roll au sein du groupe romain Kim Squad & Dinah Shore Zeekapers. Les quelques pépites de garage 60's/pub rock dont recélait leur album Young Bastards (Virgin, 1987) n'avaient pas pris une ride. Le groupe s'était doucement éteint vers la fin des années 80 dans les méandres d'un psychédélisme racé et très Velvétien (the Kim Squad, 1988). Notre héros du jour avait ensuite traversé les années 90 à bord de divers combos plus expérimentaux : Notre Dame Des Naufragés, Les Enfants Rouges, ou encore Il Gran Teatro Amarole, rock italien à accordéon, avec option klezmer/tsigane à la Ogres de Barback ou Hurlements de Léo. Les Hurlements de Léo, d'ailleurs, qui partagèrent un split-album en 2007 avec L'Enfance Rouge (1995-2020), son nouveau projet. Avec ses sonorités noise/indus autant qu'arty/post-rock, et indéfinissablement groovy, sa voix d'Outre-Tombe, ses orientations politiques assumées et son étonnante productivité - une dizaine d'albums en quinze ans et une reprise étonnante du Tostaky de Noir Désir en 2011 - l'Enfance Rouge était clairement annonciateur du futur projet Putan Club.

Gianna Greco, elle, pendant ce temps, avait officié au sein du groupe métal/grunge Shotgun Babies (2007 - 2015). Leurs deux routes s'étaient finalement croisées au milieu des années 2010. Elle avait apporté en dot son univers gothique, électronique et métal. Acte militant sans doute, ils s'étaient établis ensemble dans la toute jeune démocratie tunisienne, et y avaient monté le groupe pluri-ethnique d'électro/world/indus/tribal Ifriqiyya Electrique (2017 - 2019). Et le Putan Club. L'aboutissement de toutes leurs démarches entreprises auparavant, qu'elles soient artistiques, idéologiques ou musicales.

 

Putan Club, c'était donc ce duo - fonctionnant parfois en trio lorsqu'accompagné à la batterie par Zoé Martinot, du groupe perpignanais Joy Rage (Cougouyou Records), ou encore au cours de ses collaborations avec Lydia Lunch, égérie de la no-wave new-yorkaise de la fin des années 70 (Teenage Jesus & the Jerks !) - ce duo, donc, qui jouait généralement  plus de 150 dates par an. Leur premier album, Filles De Mai, était sorti en 2017 (Toten Schwan Records), et leur avait offert le support idéal pour écumer sans discontinuer les villes d'Europe, de Chine, du Canada, etc... Ils avaient profité de chaque étape pour y poser leurs valises, pour sentir l'atmosphère du lieu, en explorer toutes les possibilités, en exploiter toutes les situations, y provoquer la réaction, en mode raid rock'n'roll et concerts coup-de poings. Les quelques mois pendant lesquels je venais de les suivre sur les réseaux sociaux m'avaient offert un magnifique panorama de l'underground européen. Putan Club restait donc une invitation au voyage. L'Asie Centrale devait même être leur prochaine Odyssée. La crise sanitaire en décida autrement.

Leur itinérance les avait finalement menés à La Réunion à la fin de l'année 2022. Il avaient décidé d'y passer l'hiver, sous la chaleur des tropiques. Une paire de dates avaient logiquement été calées. Le groupe avaient joué à la Cerise, avant d'enchaîner sur le Bisik de Saint Benoît, le Théâtre Canter à Sainte Clotilde et le StudioTic du Chaudron. D'autres dates étaient prévues pour le début d'année 2023, au Passage du Chat Blanc et à la Cité des Arts à Saint Denis, ainsi qu'au Toit à Saint Pierre.

 

La radicalité des propos, le féminisme exacerbé, la violence musicale, l'itinérance comme acte de vie, la provocation et le situationnisme... On pouvait ne pas forcément adhérer à ce 'Club des Putains' - le public du StudioTic, majoritairement rassemblé ce soir-là pour la première partie (Pamplemousse) déserta d'ailleurs en grande partie la salle au cours de la prestation du groupe italo-français. Il était en revanche impossible de nier l'énergie et la rage du duo. Ni le fait que Putan Club ne laissait personne indifférent. De la dynamite. Oui.

* Allez Les Filles, Les Thugs, Strike, 1996

Olive The Jerk du blog Shut Up & Play The Music