Allez les Filles !° - Épisode VI - TzeTze - StudioTic - Samedi 22 Avril 2023

Il était une fois le Post-Punk

L'amateur de punk rock poussant les portes d'une nouvelle boutique de disques se posait invariablement la même question: par où commencer l'exploration ? Fouiller les bacs à vinyles nécessitait une certaine organisation et le classement du disquaire demeurait, à ce titre, capital pour retenir son client.

La section post-punk restait un de mes angles d'attaque favoris. Elle permettait de se faire une idée rapide de la consistance du stock du magasin et des références du vendeur. Un Heart Of Glass de Blondie se battant en duel avec un Boys Boys Boys de Sabrina ou un 45tours de Depeche Mode ? Pas de temps à perdre, je passais mon chemin. Le Cambodia de Kim Wilde ou le Tainted Love de Soft Cell côtoyant un Chercher Le Garçon de Taxi-Girl ? Mon intérêt s'éveillait. L'excavation d'un Making Plans For Nigel de XTC, d'un Rock Lobster du B-52's ou du Happy House de Siouxsie & the Banshees ? Mon attention redoublait. La découverte d'un album oublié de the Fall, de la compilation Paris Mix, ou d'une ré-édition du And Don't The Kids Just Love It de Television Personalities ? À l'évidence, le disquaire savait de quoi il parlait et tous les autres bacs recèleraient d'innombrables pépites. En fait, il devait y avoir à peu près autant de définitions du terme post-punk que de disquaires. Bien sûr, chacune me touchait, mais à des degrés divers. J'avais clairement mes préférences.

J'adulais la première vague du post-punk... Le post-punk de 79, c'était un peu la version élitiste et sophistiquée du punk de 76. La provocation s'était muée en dandysme et le nihilisme en hédonisme. En se recentrant sur l'individu en crise plutôt que sur la faillite sociétale, la démarche se voulait plus artistique, les thématiques plus intellectualisées et l'atmosphère plus touchante, avec, en guise de corolaire, un des rares moments d'intense féminisation du mouvement punk. Tout en conservant ce qui avait fait le charme du punk de 76, le jeu instrumental du post-punk originel se faisait aussi plus précis. Harmony In My Head des Buzzcocks, Warsaw de Joy Division, Porno Grows d'Honey Bane, Mongoloid de Devo, Shot By Both Sides de Magazine, Where's Bill Grundy Now ? des TVP's ou Edith Nylon (par Edith Nylon) restaient quelques classiques incontournables de cette période.

J'adorais également le côté brut et spontané du post-punk du début des années 80, musicalement encore très ancré dans le punk rock - on était en pleine vague du 'revival' du punk britannique - mais déjà agrémenté d'apports synthétiques et parfois d'influences exotiques. L'écoute de This Is Not A Love Song de PIL, de A Forest de Cure (la version des Peel Sessions !), de New Age de Blitz, de Night Train de Scrotum Poles, de Casablanca de Warum Joe ou d'Hallucination d'Affection Place s'avérait toujours aussi jouissive.

J'aimais enfin, peut-être plus modérément, les débuts sombres de la new wave et de l'électro : le label Factory Records, tous ces groupes à la New Order, Section 25, des groupes français comme Kas Product et Deux... Un titre comme Game & Performance restait une pure merveille de post-punk minimaliste et mélancolique. Comme la majorité des gamins des années 80, j'avais grandi au son de la new wave. C'était indéniablement une forme de post-punk, mais dans sa version dévoyée et très populo. La new wave avait réussi en fait à me vacciner contre toutes formes de sonorités synthétiques jusqu'à mes vingt ans .

Post-Punk 2.0

Étonnement, ce fut la scène garage-punk du début des années 2000 qui me poussa enfin à m'intéresser au post-punk et à ses origines. Le fait de voir sur scène des groupes américains comme Epoxies, A-Frames, Intelligence... De suivre fidèlement les groupes affiliés à la Happy Family parisienne (Warum Joe, Opérations S, Frustration, Volt, Cheveu...). De s'intéresser à la Grande Triple Alliance de L'Est (Mil Mascaras, AH Kraken, the Feeling Of Love, Crack Und Ultra Eczema... - au passage, ne pas manquer le film de 2022 de N. Drolc/G. Marietta). D'écouter en boucle Blank Dogs et les groupes des labels Sacred Bones ou Hozac Records. De découvrir Eddy Current Suppression Ring et d'assister à la renaissance du post-punk australien avec Anti Fade Records...

On pouvait difficilement expliquer l'effervescence post-punk du milieu des années 2010 - entre autres, celles des labels français ou francophones Teenage Menopause, Born Bad Records, Et Mon Cul C'est du Tofu?, Kaka Kids Records, etc... dont on avait pu découvrir à la fin des années 2010, sur les scènes réunionnaises, quelques uns des spécimens les plus représentatifs (Le Prince Harry, Frustration*, Usé*, Maria Violenza*, Les Morts Vont Bien*, Bracco*, Jessica 93*, Mr Marcaille*...) - ni témoigner de la déferlante du revival post-punk du début des années 2020 (Australie en tête!*), sans comprendre que ces deux phénomènes plongeaient leurs racines dans toute cette scène garage-punk des années 2000.

Il devenait par-contre de plus en plus difficile de s'y retrouver dans la jungle des qualificatifs des différents sous-groupes qui le composaient : post-punk 79, post-punk 'revival', cold wave, dark waves, gothique, batcave, new wave, synth-punk, synth-pop, punk 'weirdos', synth-core, post-rock, math-rock, noise-pop, electro-punk, egg punk, Devo-core, etc... sans compter toutes ses relations ombrageuses avec les autres courants musicaux. Le post-punk semblait être devenu, au même titre que le hardcore, un genre à lui seul.

Mais quelle mouche a donc piqué TzeTze ?

Se pencher sur le groupe madrilène Tzetze revenait en quelque sorte à synthétiser l'ensemble de ce propos. Le parcours musical du chanteur-guitariste Raul Lopez Vincente parlait de lui-même. Il avait fait ses premiers pas, au tout début des années 2000, dans la région de Madrid, au sein d'un groupe obscur de garage-punk lo-fi, Phili Y Sus Lechones, avant de poursuivre avec Turnomatics. Le 45 tours de ce groupe, Diablo Bueno, présentant un mélange de garage à la sauce Fuzztones et d'expérimentations 'weirdos', m'était parvenu à Reims en 2007, accompagné d'une bonne partie du catalogue du label espagnol adossé à ce disque, Big Black Hole Records (3 Delicias, Dixie Buzzards, Aluminium Knot Eye...), via l'énorme liste de distribution garage-punk des rouennais de Yakisakana Records.

Avec les Fabuloso Combo Espectro, actifs pendant cinq ans de 2010 à 2014, Raul se frottait ensuite toujours plus aux expérimentations, aux morceaux déstructurés, au garage fuzzien, au post-rock et à la noise, et aux synthétiseurs cradingues. À l'écoute des deux albums (sortis sur Ghost Highway Recordings et Discos Humeantes), la ressemblance avec the Rebel, le projet parallèle post-punk 'weirdos' et décalé d'Alan 'Country' Davidson des Country Teasers, était frappante.

À la même époque, la batteuse Claire Mollet officiait au sein du trio Monotonus. Un groupe pas franchement monotone, malgré une rythmique millimétrée et répétitive. La groupe de Madrid avait sorti coup sur coup un 45 tours en 2013 et un Lp en 2014 (sur Long Line Records), sur lesquels on ressentait clairement les influences noisy-pop sautillantes d'un Gang Of Four - groupe de post-punk britannique millésimé 1979/ début 1980 majeur - ou plus tard, d'un Franz Ferdinand.

2017, c'était enfin la naissance de TzeTze, fruit de la rencontre des deux musiciens. Leur musique, élaborée et peut-être difficile à appréhender pour le commun des rockeurs, se voulait pourtant une synthèse plus qu'intéressante de leurs différents projets, entre expérimentations garageuses à la Rebel et post-punk à la Gang Of Four donc, mais aussi portée par des rythmiques tribales post-punkées à la Bow Wow Wow, avec touche funky dansante d'un  Bloc Party et délires arty d'un Birthday Party.

TzeTze venait défendre son premier mini-LP 7-titres, Baila, Sangra Y Olvida (auto-produvtion, 2020), avec une série de concerts à la Réunion (StudioTic, le Zinc, le Kabardock, Skate Park de St Pierre...). Le groupe était l'invité de l'association réunionnaise Au Fond Du Garage, présente sur l'île depuis une grosse dizaine d'années, et spécialisée aussi bien dans le math-rock (Pneu en 2011), la noise (la Colonie de Vacances en 2013, Miraflores en 2016), le post-punk/post-rock (Kill Kill en 2017, Guru Guru en 2019), le garage (Hair & the Iotas en 2014, Furia en 2015) et bien sûr, le rock péi (partenaire du festival O TEAT*) - avec l'accent mis en particulier sur les groupes andalous et espagnols de part son partenariat avec le festival Monkey Week de Séville. L'association était par ailleurs liée au groupe local Riske Zero* qui assurait au StudioTic, ce soir-là, la première partie de TzeTze en compagnie des Turbo Tits.

'Dansez, Saignez, Oubliez' fut donc le mot d'ordre du groupe espagnol. La complicité du couple sur scène et sa joie communicative à jouer sous les tropiques participa grandement au succès de la soirée.

Olive The Jerk du blog Shut Up & Play The Music

Notes:

° Allez Les Filles, Les Thugs, Strike, 1996

* Voir précédemment dans Shut Up & Play the Music (blog & fanzine)