Allez les Filles !° - Épisode IV - chapitre 3 : Johnnie Carwash - Rock à la Buse Est & Nord

Profitant d’un passage éclair sur Paris au mois de juillet, j'avais assisté au Petit Bain au concert donné par Meatbodies, le projet parallèle du bassiste de Fuzz, Chad Ubovic. Sans rentrer trop dans les détails, Fuzz, c'était un de ces groupes qui cartonnaient depuis quelques années en Californie, exploitant le créneau du garage-punk néo-psychédélique, avec en embuscade, à la guitare, le très prolifique Ty Segall, et en orbite toute la clique des labels de la côte Ouest des USA - In the Red Recordings et Castle Face Records en tête - ainsi que la petite nébuleuse des musiciens gravitant autour des incontournables OSees.

La scène garage-punk américaine de la fin des années 2000 avait nourri en son sein tout ce microcosme californien - on se souvenait que les premiers 45 tours de TY Segall étaient alors sortis sur Goodbye Boozy Records, Goner Records, ou Trouble In Mind, tandis que ceux de thee Oh Sees avaient atterri sur Bruise Cruise ou Shattered Records, pour ne citer que quelques-uns des labels les plus impliqués aux débuts de ces groupes. Tout au long de la décennie suivante, cette nouvelle scène de la côte ouest américaine avait progressivement pris de l'ampleur, pour atteindre son paroxysme au tournant des années 2020 (festival Levitation & co…).

Ce soir-là, donc, quelque 250 personnes s’étaient déplacées pour assister au concert de Meatbodies, un groupe qui, bien qu’excellent, paraissait n’être qu’un des seconds couteaux de cette nouvelle vague du punk californien. En pleine torpeur estivale parisienne, la péniche était pourtant bondée, et le nombre d'entrées m’avait plus que surpris.

Ce qui m'avait également frappé, c'était la moyenne d'âge du public. A vue de nez, 20 ans, 25 ans tout au plus. Et sa composition. Le deux/trois premiers rangs devant la scène étaient compacts et majoritairement composés de jeunes rockeuses, tatouées à la mode vintage/années 50, toute avec un large sourire aux lèvres et le bras levé bien haut sur tous les refrains. Derrière elles, un gros bataillon de jeunes moustachus au look urbanisé très cool et de barbus ‘hipsterisés’ et rigolards. Tout cela ressemblait décidément bien à une jeunesse pas trop malheureuse, plutôt éduquée, respirant la tolérance et l’humanisme, et clairement issue de la classe moyenne. Une jeunesse sans doute politiquement déjà un brin désillusionnée, mais encore volontaire et battante face aux innombrables défis qui l’attendaient.

Le futur du rock’n’roll français semblait en tout cas bel et bien assuré, et au fond de la salle, les quelques vieux briscards dans mon genre restaient en état de sublimation devant cet afflux de vitalité et de jeunesse. Ce concert m’apportait en fait un semblant de réponses à certaines questions que je me posais depuis déjà quelque temps. D'où venait ce nouveau public de jeunes rockeurs ? À quelles sources du punk et du rock'n'roll avaient-ils tous été biberonnés ? Et y avait-il un lien avec l'émergence, au tournant des années 2020, de la plupart de ces jeunes pousses du garage-punk français contemporain ?

J’y avais réfléchi en abordant dans mes chroniques de 2020 le maxi Mom Is A Punk de Johnnie Carwash* et l'album des parisiens de Deedee & the Abracadabras*. Je me les étais posé durant la prestation de We Hate You, Please Die* au Palaxa, lors de l'édition 2022 du festival du Rock à la Buse. Je m’étais également penché dessus, en ces soirées de mars 2023, au Bisik de Saint Benoît, puis au Palaxa à Saint Denis, lorsque justement, les mêmes jeunes lyonnais de Johnnie Carwash nous avaient servi deux shows débordant de fraîcheur et de vitalité. Et il en avait été de même à l'écoute de tous ces combos, les Johnny Mafia, Edgar Suit, Sugar Kids, Tv Sundaze, Stoner Buds, etc...

Alors, certes, chaque groupe développait son propre univers musical - plutôt stoner ou pop 'shoegaze' pour les uns, carrément post-punk ou Ramones - que pour les autres. Les Johnnie Carwash convoquaient bien, eux, à la fois le garage-punk des années 2000/2010, le grunge et la noise des années 90, et la pop DIY du Paisley Underground des années 80 - la Californie là encore. Mais l'ensemble de ces groupes français et de ces rockeurs en herbe semblait former un tout finalement assez homogène. Tous affichaient une même élégance vestimentaire, tous arboraient une même 'coolitude' cohérente et très ‘West Coast’. Tous s'intéressaient aux mêmes thématiques - généralement, l’entrée fracassante dans le monde des adultes (Teenage Ends, qu'il s’appelait d'ailleurs, le premier album de Johnnie Carwash (Howlin’ Banana Records, 2022). Et surtout, tous exhibaient sur leur t-shirt les mêmes références au garage-punk néo-psychédélique californien, ou manifestaient au fil des interviews le même intérêt pour les Osees... Chaque épopée du punk possédait son acte fondateur.

Une fois de plus, la petite histoire du rock français semblait vouloir mettre ses pas dans celle, plus conséquente, du punk californien. Mais à sa manière. Trente-cinq ans plus tôt, l’émergence de la scène punk de Berkeley, dans les banlieues étudiantes de San Francisco (Green Day, Rancid, the Offspring, Operation Ivy, etc...) n’avait-elle pas, elle aussi, ouvert en France un boulevard à des groupes comme les Burning Heads, alimentant toute la vague française du hardcore mélodique et faisant vibrer une nouvelle génération de jeunes punkers ? Nos nouveaux rockeurs modernes étaient fait du même bois. Ils avaient juste troqué les skateboards pour des trottinettes et les casquettes pour des bonnets de marins. Question d’époque.

 Olive The Jerk du blog Shut Up & Play The Music

Notes :

° Allez Les Filles, Les Thugs, Strike, 1996

* Voir précédemment dans Shut Up & Play the Music (blog & fanzine)