Se caler dans son siège, dans le fond du jardin, face au Sud-Est. Fermer les yeux quelques minutes. Ressentir toute la puissance des Alizés - ces vents tropicaux de l'hiver austral. Ça, c'était de la sensation pure ! Il n'y avait qu'ici qu'on pouvait expérimenter un tel phénomène. Cette impression d'être un microbe agrippé à sa boule, en autorotation sur son axe, à pleine vitesse... Les joies de la force de Coriolis ! J'adorais ça.

Ma chère et tendre m'avait tiré de mes rêveries limino-scientifiques. Jouer avec le vent, c'était bien beau, mais là, justement, il y en avait trop, du vent. Donc, comme on était samedi, on allait décamper fissa vers les plages de l'Ouest, à l'abri, sur la Côte Sous-Le-Vent.

Notre petite famille avait donc passé une journée agréable sur la plage de l'Hermitage, à profiter de la douceur du soleil hivernal. Mon beau-frère, sa femme et les nièces de l'Est s'étaient joints à nous. Ce genre de virée se terminait invariablement en apéro dans une de ces rondavelles du front de mer - coucher de soleil, rayon vert, baleines acrobates, etc... La totale. Mais cette fois, en ce soir de juin 2022, j'avais poussé tout mon petit monde à écluser nos bières apéritives au Santa Cruz, le bar du skatepark de la Saline-les-Bains, où se déroulait le Jam Kids' Contest - une compétition de jeunes skaters. Et pas si accessoirement que cela, en fond sonore, le concert de deux groupes locaux que j'appréciais tout particulièrement : Tuelipe et Fénwär.

Chapitre 1 : Tuelipe

Entre les confinements successifs, le fait de résider dans le nord de l'île et mes vacations régulières en week-end, je n'avais encore jamais eu l'occasion d'assister à un concert de Tuelipe. Pourtant, l'écoute du premier album du 'one-girl-band' réunionnais, Mono Game* (Maudit Tangue Records, 2022), m'avait clairement séduit. Pascale Besse (également bassiste/chanteuse de Kilkil, mais aussi patronne du label péi susnommé et co-organisatrice du Rock à la Buse) y étalait toute une palette de sonorités électroniques et industrielles, de rythmiques EBM, de titres de pop synthétique planante, de 'dark waves' sombres et minimalistes, et de synth-punk tout en tension. Sa voix, nonchalante et vaguement nasale, s'accordait parfaitement à l'atmosphère post-punkée qu'elle y développait.

L'univers sonore de Tuelipe semblait convenir aux quelques couples attablés qui sirotaient leurs bières, et à leurs enfants qui s'empiffraient de frites/coca en admirant les cascades des jeunes skaters. Mon beau-frère, qui avait été lycéen à Nancy à la fin des années 80, avait rapproché le son de Tuelipe de celui de Kas Product. On était bien d'accord, et j'avais poussé la comparaison avec les prémices de l'électro froide de l'Haçienda à Manchester. Convivialité du lieu, décontraction familiale, bonne musique et intimité de la performance : ce concert était parfait !

Neuf mois plus tard, à la Cité des Arts, le changement d'ambiance était palpable... Tuelipe jouait, dans le cadre du Rock à la Buse 2023, sur la grande scène du Palaxa devant plus de 200 personnes. Ce que la prestation perdait en confidentialité et en simplicité, elle le gagnait en assurance et en professionnalisme.

On avait appris que Tuelipe se chauffait pour sa tournée franco-belge annoncée au printemps, en compagnie des brillants Tempomat* - le projet parallèle de membres de Frustration et Last Night, qui allaient également défendre leur premier album (Aus Der Reihe Derrick, Viro Major Records/ Les Disques Mauvais Garçons, 2022). Chien Et Loup, le très beau clip de Tuelipe, réalisé par l'illustratrice péi Maca Rosee, était d'ailleurs arrivé à point nommé pour la promotion de cette tournée. La dizaine de copies de l'album Mono Game, envoyées à la boutique parisienne Born Bad - toujours à la pointe des futures tendances en matière de punk et de rock underground - s'était vendue en un rien de temps. On la sentait de plus en plus fortement, la montée en puissance de Tuelipe...

Avant de m'en retourner jouer au bénévole derrière le comptoir de la cour extérieure du Palaxa, le quart d'heure pendant lequel j'avais assisté à sa performance - croquée en dessins projetés par Laurent Bostrale et Logan Mangalou du Cri du Margouillat - m'en avait pleinement convaincu.

Olive The Jerk du blog Shut Up & Play The Music

Notes :

° Allez Les Filles, Les Thugs, Strike, 1996

* Voir précédemment dans Shut Up & Play the Music (blog & fanzine)