Allez les Filles !° - Épisode V - Partie 2 - Fénwär - Jam Kids' Contest - Samedi 11 Juin 2022 - SkatePark, Saline les Bains StudioTic - Samedi 08 Avril 2023 - Saint Denis

Ça sentait l'embrouille à plein nez, cette histoire... Décidément, j'avais le chic pour attirer à moi tous les zozos et autres casse-pieds. Accoudé au comptoir du bar du Palaxa, derrière lequel je servais des bières, le type m'avait tenu la jambe un bon moment avec des remarques qui auraient pu passer pour désobligeantes. Du genre : « Franchement, c'est dégueu la Fischer ! Vous pourriez faire un effort pour servir de la bonne bière, non ? » ou encore « Mais c'est quoi, ce festival de rock où y'a que d'l'électro ? Tuelipe ? La Jungle ? C'est pas du rock, ça !». Un peu lourd, le garçon... Moi, j'avais tenu à garder mes distances. Je lui avais vaguement répondu que Riske Zéro* et  Johnnie Carwash* n'allaient pas tarder à monter sur scène, mais rien de plus.

Lorsque, sans lien aucun, il m'avait branché sur le groupe de hardcore Ogro, j'avais pourtant commencé à m'intéresser à lui. Nous devions être très peu à la Réunion à connaître ce groupe basque. Pendant quelques minutes, la discussion s'était même animée. Nous avions parlé de la vague du hardcore contemporain qui ébranlait l'Euskadi, et de la clique de Mendeku Diskak, label sur lequel sortait un gros paquet de bons groupes. Passionnant, tout simplement.

Jusqu'à ce qu'il me proposât du 'tralala'. « Du quoi ? ». « Bah du tralala ! », m'avait-il lancé avec un clin d'œil. Punaise, il me draguait, en fait, là ? Je comprenais enfin tout son petit manège. Et c'était clairement l'effet 'marcel', ça ! Il faisait chaud, j'avais voulu m'habiller léger - ma copine avait d'ailleurs pouffé en me voyant porter ce t-shirt débardeur et m'avait même balancé que ça me donnait un air parfaitement efféminé... M'enfin, quand même ?! Du tralala.... J'avais décliné la proposition. Ma réponse avait refroidi ses ardeurs et mis fin à la discussion.

Petite Histoire du Hardcore (et du D-beat) pour les Nuls

Cette 'introduction' - si je pouvais se permettre l'expression - pouvait certes sembler un brin poussive... Mais pour bien comprendre ce qui se tramait derrière Fénwär, encore fallait-il développer un sujet éminemment passionnant et passionné - on l'avait vu avec notre 'tralaleur' de la soirée - le hardcore !

Pour le faire court, le hardcore, c'était du punk qui jouait très vite, des morceaux nerveux et lapidaires, une voix venant du fond des tripes, souvent hurlée, le tout emballé dans une forte éthique DIY et libertaire. Historiquement parlant, à l'origine de ce sous-genre du punk, on pouvait distinguer deux grandes familles qui avaient émergé simultanément, au début des années 80, des deux côtés de l'Atlantique.

La famille américaine d'abord, elle-même divisée en deux branches cousines. Sur la Côte Ouest, la scène californienne et assimilée - Black Flag, TSOL, 7-Seconds, DOA, avec en soutien principal, le label de Jello Biafra des Dead Kennedys, Alternative Tentacles. L'intense démocratisation de ce mouvement allait aboutir quelques années plus tard à la vague californienne du skate-punk, ou hardcore mélodique (NOFX, Suicidal Tendencies, Green Day, Descendents...).

À l'autre bout du pays, sur la Côte Est, la famille de Washington DC, communément appelée 'hardcore oldschool', avec Minor Threat, Government Issue, Youth Brigade, Negative Approach, etc... et le label de Ian MacKaye, Dischord Records. Elle accoucherait elle-même d'une multitude de sous-genres au cours des années 80 - l'émocore (Rites Of Tomorrow, Embrace), le post-hardcore (Fugazi), le New York Hardcore ou NYHC (Agnostic Front, Sick Of It All, Cro-Mags, Madball), la noise-hardcore (Shellac), etc...

Parallèlement, à la même période, de l'autre côté de l'Atlantique, naissait l'autre famille du hardcore, celle du punk-hardcore britannique, fer de lance de la seconde vague du punk anglais et de son très populaire cri de ralliement : Punk's Not Dead. GBH, the Exploited, the Varukers, Discharge, etc... restaient les grands noms associés à ce mouvement. Discharge étant quant à lui un groupe particulier, de par son mélange de punk rock énervé et de heavy-métal 80's à la Motörhead, son chant hurlé et son ancrage profond dans le milieu de l'anarco-punk. Le Discharge-beat, ou discore, ou encore D-beat, deviendrait par la suite la marque de fabrique de tous les groupes s'en revendiquant.

Rapidement, le hardcore allait s'exporter à l'international, devenant un courant musical à part entière. La Suède développa le D-beat avec application (Mob47, Anti Cimex, Rude Kids, etc...). La fusion entre le punk-hardcore britannique et le trash-métal engendra une multitude de courants plus violents les uns que les autres (trashcore, metalcore, crust, grindcore, crossover...), l'émo-core américain se mua progressivement en émoviolence et powerviolence, l'apport des musiques électroniques créa également toute une série de micro-genres brutaux (synthcore, electronicore, breakcore...), celui du hip-hop le rapcore, etc...

 Les curieux pouvaient approfondir et explorer l'étendue du phénomène hardcore à travers la lecture des nouvelles, très personnelles, de Stéphane Delevaque du fanzine Rad Party (au passage, une influence graphique et stylistique majeure du blog/fanzine Shut Up & Play the Music, dont le fond de sauce était pourtant le garage-punk). Steph Rad Party témoigna 30 années durant de la montée en puissance de ce mouvement, et surtout de son exportation en France, chroniquant aussi bien les disques d'Heimatlos, Condense, des Portobello Bones, des Customers et de Scraps que ceux des Burning Heads, de Seven Hate, d'Unlogistic, d'Heb Frueman ou des Blockheads, tout en passant en revue les scènes hardcore stéphanoises, parisiennes et toulousaines, ou en témoignant des concerts rémois organisés par Phil BurnOut (Shogun Records) au début des années 2000 (ma découverte du grindcore & du crossover, souvenir...).

Les aficionados pouvaient, eux, poser une oreille sur toute la scène française du D-beat contemporain (Bakounine, Bombardement, Turquoise, Deletär, Phosphore, Allusion, etc...), ou se plonger dans les tranches de vie du hardcoreux de la première heure Aaron Cometbus, récemment ré-éditées (et disponible sur le stand péi de Patatrak Distrax), tandis que les amateurs de bédés pouvaient croiser ces univers au travers de la jeunesse californienne de Jaime Hernandez (les comix Love & the Rockets), ou plus récemment, des jeunes années 'émocoreuses' romaines de l'illustrateur ZeroCalcare (et visionner au passage ses deux excellentes séries animées sur Netflix).

Enfin, pour les rockeurs réunionnais, l'émission de Radio LGB, Au-Dessous Du Volcan, présenté par Chloé Malen, la chanteuse de Fénwär, leur apporterait un bel aperçu des diverses tendances de ce courant majeur de l'underground.

Fénwär

Retour, donc, à notre soirée apéritive et familiale à la rondavelle du Santa Cruz, en ce soir de juin 2022 (voir chapitre précédent). Tuelipe venait d'achever sa jolie prestation et tout mon petit monde était heureux. Mais ma belle-sœur avait commencé à blêmir lorsqu'elle avait vu le guitariste de Fénwär occupé à accrocher son drapeau noir avec son A cerclé. Dès l'introduction du premier morceau du groupe de D-beat, le tempo presto de la boîte à rythme, les gros riffs gras du guitariste, et le mur de basses avaient fait déguerpir mes nièces. Quand la chanteuse avait commencé à beugler dans son micro, mon beau-frère s'était levé et avait lancé le signal du départ. Ma belle-famille nous avait embarqués dans sa débandade désordonnée devant la tornade de décibels et la tempête politisée qui s'annonçaient... Je n'avais même pas eu le temps d'écouter la fin du premier morceau. Mais je savais que ce n'était que partie remise.

Pas loin d'un an plus tard, Fénwär annonçait un concert dans le nord de l'île, au StudioTic de Sainte Clotilde, en compagnie des groupes métalleux Feed the Ire et Nosferâ. Le timing était serré : fin du boulot à 20h30, et nécessité d'être de retour à la maison pour 21h30... Chloé m'avait affirmé qu'ils joueraient en premier.

J'étais arrivé dans les sous-sols de la salle de concert au moment précis où retentissaient les premiers accords de Hear Nothing, See Nothing, Say Nothing, une reprise du premier album de Discharge (Clay Records, 1982), rapidement suivie par celle des anarco-punk de Oi Polloi, Don't Burn the Witch, Burn the Rich. Le ton était donné.

Sur certains morceaux (No Smile On Their Face, Up In Flames), la basse vibrait à la manière d'Heyoka et d'Ahorcados, sur une lignée anarco-punk/hardcore-80's très française - le son typique des Heimatlos, Final Blast, Kromozom 4... et de tous ces groupes de la mythique compilation Rapsodie En France (récemment rééditée en vinyle chez les punks marseillais de Crapoulet Records !). La guitare apportait la touche heavy-metal/D-beat à l'ensemble, tandis que la chanteuse éructaient sujets féministes (Dans La Bouche d'une Fille) ou liés au désir féminin (Call a Pussy a Cat), et thématiques plus personnelles ( Partie, Téki ?).

On pouvait aussi s'arrêter sur le parcours musical des trois membres de Fénwär. Tof, le bassiste, avait fait partie de Phase Terminale, un groupe découvert sur la compilation Tendance Négative (Limolife Records, 1996) à une époque où les scènes françaises du punk revendicatif post-Bérurier Noir (Zabriskie Point, les Partisans...) et de l'anarco-punk (Heyoka, La Fraction....) étaient en pleine effervescence. Cela ne rajeunissait personne. Il avait ensuite traversé les années 2000 avec son groupe lillois La Société Elle A Mauvaise Haleine, puis accompagné, la décennie suivante, avec le  combo Makach, toute cette scène Oi et post-punk captivante issue des squats du Nord de la France (Traitre*, Kronstadt, Douche Froide, le label Lada Records...). On l'avait vu débarquer à la Réunion au tournant des années 2020 avec sa liste de distribution anarco-punk et D-beat, Patatrak Distrax.

JL, le guitariste, avait traîné ses rangers au sein de combos punk oubliés de la région lyonnaise avant de faire le grand saut vers l'hémisphère Sud en 2002. On le connaissait pour son positionnement anarchiste intransigeant et ses théories parfois légèrement crispantes. Mais surtout, pour ses participations au sein des groupes locaux the Circle A* et Pluto Crevé*.

Chloé, enfin, passait pour une infatigable activiste de l'underground français des deux dernières décennies : organisation de concerts à Orléans, au Mans puis sur Paris - hardcore, noise et punk expérimental en tête - implication dans l'autogestion du 17 et du Bilboquet à Saint-Étienne, bassiste à ses heures perdues, 'roadie' sur les routes européennes au volant de sa fourgonnette pour des groupes de grindcore en tournée, micro-productrice DIY de disques et de livres, pousse-disques sur des radio libres, etc... et une arrivée à la Réunion en 2019 où elle s'était intégrée sans difficulté au microcosme du punk péi.

Trois personnalités solidement ancrées, avec des goûts musicaux sûrs, une connaissance aigüe du milieu de l'underground français et réunionnais, et une éthique DIY et constructive à toute épreuve... Fénwär partait à l'évidence sur de bonnes bases. Un album était d'ailleurs en cours d'enregistrement, étape indispensable avant leurs prochaines tournées de tous les lieux autogérés de France et d'Europe. Demain Serait... #

 Olive The Jerk du blog Shut Up & Play The Music

Notes:

° Allez Les Filles, Les Thugs, Strike, 1996

* Voir précédemment dans Shut Up & Play the Music (blog & fanzine)

# Demain Sera, Heyoka, Maloka Records, 1996