UN Z QUI VEUT DIRE BOURREAU

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Samedi soir, j'ai eu l'immense bonheur de voir “Jaz” au Théâtre Luc Donat et je vous recommande vivement cette pièce au thème sombre mais à la scénographie lumineuse.

J'ai envie de promouvoir ce spectacle pour plein de raisons mais surtout car je me sens coupable d'avoir présenté cette pièce à une amie en insistant sur la thématique du viol, ce qui a eu pour conséquence directe de décourager mon interlocutrice, plutôt tentée par une proposition plus « légère ». Je ne jugerai pas ce désenchantement immédiat en lui balançant cette réplique de Blanche Gardin (annoncée sur notre île au second semestre) : « Depuis quand se vider la tête est une activité positive » mais je veux la convaincre – et vous par la même occasion – que cette pièce est un moment aussi éloquent qu'émouvant.

S'il s'agit effectivement du récit d'un viol, le traitement musical et scénographique confère à cette pièce une dimension tragique avec un tempo unique. Les ayatollahs du verbe pourront être gênés par les excellents effets visuels et l'accompagnement musical omniprésent alors que je trouve justement cette alchimie remarquable et enrichissant le propos.

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À la base, je n'ai pas forcément été emballé par cette atmosphère de cabaret de Broadway provincial, surtout quand la narration alternait VO et VF comme dans une série mal traduite, mais la qualité de jeu et de chant de la comédienne Ludmilla Dabo associée aux impeccables musiciens du Mister Jazz Band m'a complètement transporté dans cet univers jazzy, glauque et archi référencé. L'ambiance cinématographique est véhiculée par cette B.O. jouée en live accompagnant le monologue de l'actrice, lui répondant, le sublimant et produisant un langage parler-chanter proche du slam. C'est étonnant et intensément novateur pour réverbérer l'émotion de la victime et son état d'esprit vengeur.

À cela s'ajoute un décor assez basique mais diablement efficace composé d'un paravent métallique qui s'ouvre pour devenir un fond de scène rougeoyant façon maison close enfumée ou qui se referme comme une cage pour représenter le sordide toilette où Jaz a été violée. Quand on sait que le « vrai » décor est resté coincé dans un container et que l'équipe technique du CDOI a dû recréer toute la structure en trois jours (jeu de néons excepté) c'est d'autant plus émérite. Je suis particulièrement friand de ces effets scéniques qui ne paient pas de mine au départ et qui déploient toute leur puissance au fur et à mesure que l'intensité dramatique s'accélère. Dans le domaine cinématographique, on aurait vanté le travail du directeur photo alors je ne me prive pas de féliciter le concepteur lumière qui a su créer une atmosphère oppressante, véritable personnage secondaire de cette création. Comme quoi il est possible de monter une pièce sur un sujet lourd en proposant une scénographie chiadée qui transcende une narration exigeante et suffocante.

Concernant la qualité de l'écriture, je vous dirige vers la critique de l'érudite Zerbi (ce n'est pas une contrepétrie) qui a été particulièrement charmée par le texte de Koffi Kwahulé. De mon côté, j'ai particulièrement aimé la brutalité des mots pour exprimer les maux de cette femme dévastée, l'accent porté sur la reconstruction plus que la désolation et ce rappel final chanté et sous-titré qui soulève la mondialité de cette calamité.

Manzi

Prochaines représentations de Jaz : jeudi 26 à 19h et vendredi 27 avril à 20h au CDOI