BONGOU DÉSOSSE CARCASSE

SOIS UN HÉROS, DÉCRIS LA SCÉNO : 

MANZI : Plus attiré par les chairs que les os, je laisse le soin à Zerbinette de vous décrire la scéno. Par-contre, je peux vous dire que cet imposant agrès, le zig roll, a bien roulé sa bosse puisqu’il a participé à la célèbre cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’Albertville de 1992, chorégraphiée par Philippe Decouflé. Oui, oui, le Philippe Decouflé qui viendra présenter ses Nouvelles Pièces Courtes au festival Total Danse dans quelques jours. La boucle est bouclée et la routourne a bien tourné pour cette capricieuse sphère. Concernant la scénographie, je regrette l’absence au plateau de la charismatique violoncelliste Mélanie Badal qui aurait équilibré les forces hormonales.

ZERBINETTE : Sur un plateau nu, sagement rangé mais non moins caché, celui que tout le monde attend, à savoir le fameux Zigrolling, ou sphère de trois mètres trente de diamètre, dont chaque déplacement suspend les souffles tant sa manipulation semble imprévisible. En fond de scène, un amoncèlement d’une dizaine de chaises d’écolier. Souvent utilisées comme obstacles à la libre circulation de la sphère, elles contrarient l’esthétique minimaliste amenée par le zigrolling et la partition épurée du violoncelle de Mélanie Badal. 

PASSE L’HISTOIRE À LA PASSOIRE : 

MANZI : Quand un enfant de la balle se frotte à un texte théâtral, ça peut être génial comme bancal. Le cas échant, on est raccord puisque le texte de Mariette Navarro traite d’un personnage hésitant, d’un corps fictif qui refuse de rentrer dans le moule. Tergiversations narratives et circonvolutions acrobatiques font bon ménage mais ce propos abstrait peut déstabiliser les distraits. Le monumental agrès personnifie à merveille cette carcasse récalcitrante et la parfaite interprétation par le comédien Pierre-Armand Mallet est captivante. Si cette voix est enregistrée comme la bande-son, elle fait passer chaleureusement les émotions.

ZERBINETTE : L’histoire, disons-le d’emblée, n’est pas évidente à saisir. D’une part parce que le poème de Mariette Navarro, « Alors Carcasse », déroulé en voix off, est  assez obscur. On comprend bien à travers le lexique du corps et de ses limites la difficulté à l’habiter, mais le personnage de Carcasse demeure énigmatique. C’est dommage parce que ça n’éclaire pas la fonction du duo Christophe Hoarau / Pierre-Armand Mallet . D’autre part, si on perçoit une réflexion sur la rivalité, l’altérité et finalement la nécessité d’une solidarité pour maîtriser l’objet, le lien entre les interprètes et leur machine n’est pas évident.

00 CARCASSE 3.jpg

CHORÉGRAPHIE AU BISTOURI :

MANZI : Deux interprètes essaient de dompter ce corpulent agrès. Quand l’acrobate se meut dans la carcasse, l’autre dresse des obstacles et joue au Kapla avec des chaises d’écolier. C’est ludique sauf qu’on perd la dynamique avec la répétition de lentes installations sans tourbillon. Voir un circassien tenter des équilibres quand il est perché au sommet d’un amas déséquilibré fait trembler mais c’est moins le cas quand on observe un tas de chaises risquant de s’écrouler avec fracas.

ZERBINETTE : C’est le point fort du spectacle. Christophe Hoarau propose des acrobaties qui forcent le respect. Au sol ou sur son agrès, il provoque la stupéfaction, tout comme les déplacements calés au cordeau de la sphère oscillant entre les chaises. Pierre-Armand Mallet émeut par ses mimes charismatiques et son personnage maladroit, et à cet égard, les deux compères sont parfaitement complémentaires. 

00 carcasse chaises.jpg

CE QUI T’A MARQUÉ SANS T’ÉTALER : 

MANZI : J’ai beaucoup aimé l’entame de la pièce avec les premières embardées du zig roll au milieu des chaises savamment disposées. Impossible de lire la trajectoire de cette armature métallique qui rase les obstacles animés ou immobilisés de façon clinique. Les amateurs de Joseph’s Machines vont apprécier ces précieux instants de méticulosité.

ZERBINETTE: Bien évidemment, le côté spectaculaire inhérent à chaque déplacement de la sphère. Mais plus encore, la création sonore. La partition du violoncelle, exprime finalement plus efficacement que les mots du poème l’étrangeté de l’objet traité. 

00 CARCASSE 4.jpg

T’AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI : 

MANZI : Je suis resté sur ma faim question acrobatie et j’ai eu des difficultés à être touché par ce texte tarabiscoté. J’ai aimé l’alternance du ludique et du tragique dans plusieurs tableaux esthétiques et l’émouvante complicité entre les deux protagonistes. L’abstraction du texte demande de la concentration ; le spectateur en quête de prouesses toutes en légèreté risque d’être décontenancé.

ZERBINETTE : Si le sens de la proposition m’a un peu échappé, j’ai toutefois apprécié les circonvolutions insolites de cette prestation hétéroclite. Cependant, en clarifiant leurs intentions, les artistes de ce projet gagneraient en qualité. J’en sors plus sceptique qu’extatique.

Crédit Photo © Gilles Presti