RADIO MANIOK, ONDES DE CHOC

Le week-end dernier, j’ai eu le bonheur de me rendre à Trois-Bassins pour assister à la deuxième représentation de Radio Maniok, la dernière création de la compagnie Cirquons Flex. Comme ils rejouent plusieurs fois au complexe sportif de Champ-Fleuri à Saint-Denis, dans le cadre du Festival Châp’pa du 17 novembre au 1er décembre, je vais t’expliquer tout ce que j’ai aimé et peut-être te convaincre d’y aller.

Enfin ! La Réunion a un vrai chapiteau itinérant avec des propriétaires éveillés et habités par l’idée d’aller à la rencontre des habitants. Pour avoir débuté ma modeste « carrière » de « spectateur semi-professionnel » en écumant les chapiteaux des grands festivals hexagonaux, je suis ravi de retrouver cette esthétique alliant tradition et innovation, humanité et proximité, propice à une immersion dans un autre espace-temps. Ce n’est pas un hasard si le visuel du festival Châp’pa met à l’honneur ce bel édifice, personnage à part entière vu son aura protectrice et hospitalière. Intitulé « îlet chapitô », celui-ci incarne parfaitement les difficultés et les commodités de ces lieux isolés et revendique son statut de gîte quand la société périclite.

© Photo: Manzi

Le spectacle commence à l’extérieur avec le discours de l’artiste Vincent Maillot, mégaphone en main et juché dans un brouillard lynchéen. Cette note d’intention artistique et authentique prend son origine lors d’une résidence à Dos D’Âne en 2014 avec la rencontre de Monsieur Nativel dont les mots pour conter « Les Années Terribles » vécues entre 1940 et 1945 à La Réunion ont résonné pour ce collectif circassien. La capacité de la population réunionnaise à subvenir elle-même à ses besoins en cas de crise majeure est le cœur du spectacle. Vous aurez compris que le très jeune public n’est pas la cible de ce genre de cirque engagé alors, par solidarité pour vos voisins de gradins et votre chérubin, venez avec vos enfants de plus de 8 ans. Non pas que ce spectacle soit étiqueté « intello », juste qu’il nécessite une attention prolongée et un minimum de maturité.

© Cédric Demaison / Studio Éphémère

De même, le spectateur en quête d’une narration dialoguée propre au théâtre devra réinitialiser ses attentes et se recentrer sur la dimension kinésique et interprétative des circonvolutions en ébullition sous cette remuante tente. S’il ne faut pas s’attendre à un cabaret enchaînant les numéros, je recommande aux cérébraux de ne pas oublier l’exigence athlétique et la qualité protéiforme des différents tableaux. La musique – souvent jouée en live – et une mise en lumière remarquable facilitent l’immersion dans les tribulations et les consolations de cette communauté à réaction.

© Cédric Demaison / Studio Éphémère

La force de ce collectif circassien est la polyvalence et il est toujours admirable d’observer les interprètes se frotter à autant de disciplines artistiques. On espère qu’au fil des rencontres, leurs prouesses seront encore plus variées avec moins de colonnes et plus de déconne. Bongou ne serait pas Bongou sans prodiguer une autre subjective objection : l’entracte culinaire aurait pu se dérouler à l’intérieur du chapiteau car cette sortie nous extrait de l’utopie et produit une cassure rythmique pour la seconde partie. Humer les galettes en train de dorer avant de les déguster en toute convivialité renforcerait également l’esprit de solidarité. Ceci dit, cette rotation des attributions personnifie la faculté d’une micro-société à s’adapter, à se réinventer pour envisager un avenir à notre Humanité. Si le propos n’est pas nouveau, il est toujours précieux que des lanceurs d’alerte éclairés s’emparent avec conviction, poésie et sensibilité de cette problématique. Surtout quand ces questionnements partent d’un fait historique pour se prolonger dans notre contexte socio-économique réunionnais. Cette parenthèse solidaire est salutaire et j’encourage le grand public à se réfugier dans cet ilot utopiste, à l’abri des agressions consuméristes.