LA CONQUÊTE, THÉÂTRE D’OBJETS LUDIDACTIQUE

Le pire quand on est confinés et sevrés de culture c’est d’apprendre que les prochaines échéances festives s’annulent à tour de bras, alors que lesdits membres ont bien reçu leurs deux injections. C’est malheureusement le cas du festival de marionnettes TAM-TAM prévu initialement du 4 au 13 octobre 2021 qui est finalement reporté en 2022… Bongou est forcément atterré car il adore se faire manipuler. Pour se consoler, on va vous recommander un excellent spectacle, vu dans le OFF d’Avignon…

Et oui, à défaut de gloser autour de représentations s’étant déroulées sur notre territoire, Bongou se lance dans une croisade utopique : parler de spectacles qu’on espère voir programmer dans nos contrées. Après Krim recommandé par Zerbi, voici La Conquête, du théâtre d’objets pour corps colonisé, fortement apprécié par Manzi.

© Photographies Jef Rabillon

Évidemment, la thématique de la colonisation résonne particulièrement sur notre île. La sublime affiche laisse entrevoir une exploration des méfaits de l’impérialisme européen sur le continent africain. Or, si la Françafrique est bien égratignée, c’est le fléau colonial global qui est dénoncé. La Compagnie À se moque habilement de la routine d’asservissement du colonisateur et dévoile avec malice les cicatrices gravées sur les peuples colonisés. Les deux artistes, Dorothée Saysombat (comédienne-metteur en scène d'origine laotienne et chinoise), et Sika Gblondoumé (chanteuse-comédienne d'origine béninoise) parviennent à nous faire sourire et réfléchir sur ces questions sociétales dans une forme théâtrale fourmillant de trouvailles esthétiques et narratives.

© Photographies Jef Rabillon

© Photographies Jef Rabillon

Amis pédagogues, ce spectacle est un vrai filon !

C’est un réel plaisir de profiter d’un théâtre d’objets engagé, épuré et fignolé. Le propos révolté est démêlé par l’intermédiaire de jouets bon marché incarnant les gentils ou les méchants à l’insu de leur plein gré. Dans cette tragi-comédie, le Vilain peut être - entre-autres - représenté par la figurine de Tintin. Au-delà du Congo, ce sont tous les processus d’appropriation de territoires et d’asservissement de populations qui sont décriés avec une dérision communicative. La simplicité des actions et des dialogues est à la portée du jeune public mais leurs interprétations occasionneront forcément de vastes réflexions.

© Photographies Jef Rabillon

© Photographies Jef Rabillon

Pour incarner cette exploitation d’un peuple sur un autre, l’autre idée très évocatrice est d’avoir parfois intégré au miniature décor de vrais corps. Ce sont sur des chairs bien vivantes que les mutilations vont être perpétrées et que les fondations vont être siphonnées. S’amuser à ériger des frontières, séparer des populations ou imposer son dogme religieux avec des soldats en plastoc, c’est souvent très drôle mais c’est surtout corrosif, pour ne pas dire inquiétant quand tous ces méfaits se déroulent sur le ventre, la jambe ou l’entrejambe de l’artiste, astucieusement intégrés dans la scénographie.

© Photographies Jef Rabillon

© Photographies Jef Rabillon

La façade composée de barils de pétrole, de vieux transistors, de sacs de jute est tout aussi ingénieuse puisqu’elle permet l’enchaînement de tableaux sur différents niveaux, alternant les archives sonores authentiquement décalées et les saynètes impeccablement interprétées. Tous les sens sont exigés et l’esprit critique en sort plus qu’éveillé.

J’ai eu le bonheur d’assister à deux de leurs précédents spectacles Le Chant du Bouc et Ma foi et ils sont tout aussi créatifs, drôles et impertinents. Chers programmateurs, sans jouer au marchand de tapis, ça ferait un bien joli combo à proposer aux spectateurs réunionnais, fervents amateurs de théâtre d’objets de qualité, non?

Manzi

© Affiche : Christophe Alline

© Photos : Jef Rabillon