PA, LA MORT LUI VA SI BIEN

En Suisse, quand on a assisté à un spectacle pour lequel on avait des réticences et qu’on l’a finalement apprécié, on dit qu’on a été “déçu en bien”. C’est exactement mon sentiment après avoir participé à la première de Terminus de la Compagnie Alpaca Rose ce vendredi soir au Séchoir.

Je ne suis pas radicalement atteint de coulrophobie mais les clowns costumés à la Ludor Citrik me rebutent au moins autant que les cons de mimes tétanisent Alain Chabat. Rhoooooo, comment y vont les pitis n’enfants ?!? Elle vous a plus cette phrase d’intro où je place une phobie zarbi, une référence experte de la bouffonnerie et un vent de culture pop pour vous convaincre que le théâtre vivant peut être aussi marquant que Serge Karamazov lâchant des pets dans les tournants ?

© Gilles Presti

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Chers potentiels spectateurs, oubliez les voix nasales et les figures peinturlurées d’un Ronald McDonald ou d’un Achille Zavatta car Pa, le bouffon incarné par Alexis Campos, s’inscrit dans la tradition du clown torturé, prêtant autant à rire qu’à réfléchir. D’ailleurs, le début du spectacle est bien perché et il faut s’accrocher pour s’immerger dans le poème de François Villon (La Ballade des Pendus, écrit en 1489 dans l’attente de son exécution !). Illico, on sent qu’on est loin du burlesque des géniaux Okidok ou d’une performance circassienne à la Moïse Bernier dans La Brise de la Pastille et qu’on risque plus de plonger dans la psyché d’un personnage tourmenté, genre Titus dans Le délirium du papillon. Si ce name-dropping vous laisse sur le parking, n’ayez crainte, on peut facilement embarquer dans Terminus car il navigue dans plusieurs registres sans s’enliser et avec une étonnante facilité.

© Gilles Presti

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Ma crainte était justement que le comédien Alexis Campos souffre de la comparaison avec ses illustres pairs et c’est tout le contraire. Quand on sait que certains clowns de renom ont passé une vie sur les planches à façonner leur personnage, il est assez remarquable de souligner l’aisance de cet acteur dans cette gageure. L’ambiance scénique est minimaliste et fignolée, même si éprouvée par le spectateur de théâtre de rue invétéré : ambiance sépia tamisée, quelques objets savamment disposés et plateau circulaire familier. Si je suis un peu saturé de cette esthétique, je reconnais que les occasions de rencontrer ce genre d’univers sur les scènes de La Réunion ne sont pas légion alors je ne vais pas faire mon Boudu pour cette occasion.

© Gilles Presti

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Plutôt que de tourner en rond dans son petit monde, Pa va très vite converser avec le public et rendre la prestation interactive et vivante, même si son dessein avoué est d’accompagner un spectateur qui accepterait de décéder en toute spontanéité. Cet humour noir crée le malaise et la crise sanitaire du moment rend l’instant plus pertinent. Chaque quinte de toux dans les travées fait rigoler car le potentiel cancéreux risque de se faire débusquer par notre guide funèbre particulièrement zélé. Ce n’est pas la première fois qu’un artiste se moque des toussotements intempestifs mais l’on pouvait clairement deviner les rires jaunes sous les masques. Une fois la candidate désignée, les conseils non-hygiénistes pour créer un cluster sont aussi provocants qu’hilarants. 

© Gilles Presti

© Gilles Presti

Alexis Campos invente le Théâtre des Alberts… Dupontel

Suite à l’échec de cette tentative, Pa va procéder à plusieurs démonstrations de la nécessité d’une mort réussie, de l’importance de sa morbide mission et des incohérences de notre civilisation. Pour raconter l’âme humaine, il va enchaîner scènes trash et démonstrations poétiques à l’aide d’un bout de papier, d’un crâne Shakespearien, d’une valise, de marionnettes artisanales ou siliconées. Si l’influence du Théâtre des Alberts est très claire, l’interprétation lui donne plus de caractère, surtout dans les épisodes vénères. Pa vit dans un monde où le temps est suspendu, pourtant le rythme des saynètes est soutenu. En 2020, faire rire en mimant un infanticide ou un féminicide, c’est quand même couillu. Le Patronyme procure quelques équivoques à la Devos mais l’auteur ne s’est pas cassé les dents à user de jeux de mots redondants. Les fréquents apartés contrebalancent avec malice la tendance schizophrénique de son clown, évitant le basculement dans un propos philosophique dogmatique.

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En défendant la mort, Pa sublime la vie et je ne regrette pas d’avoir été curieux en allant voir la première de ce plaidoyer irrévérencieux.

Merci à Gilles pour les photos

Manzi

Prochaines représentations :Jeudi 8 octobre au Kabardock (18h30) et vendredi 30 octobre à Lespas (20h)