STUPEUR ET TREMBLEMENTS

L’œuf de tous les émerveillements a bien failli se fissurer sous les coups de plume de Zerbi et de l’effronté Manzi, échangeant leurs points de vue sur UNETSU de la compagnie SANKAI JUKU. C’était ce week-end, dans le cadre du festival Total Danse. Et ça nous a mis en transe.

SOIS UN HÉROS, DÉCRIS LA SCÉNO :

ZERBINETTE : Un plan d’eau rectangulaire sous une lumière bleutée. Des œufs en suspension dans cet espace où règne le minéral. Quelques pyramides de sable (ou de cendre?) dans cette composition où la géométrie célèbre toutes les formes. Une colonne d’eau, puis de sable, verticalité qui installe un au-delà emprunt de synesthésies. Sons, formes et couleurs se répondent, dans cet espace d’outre-tombe. Chaque nouveau tableau, mi-fascinant, mi-effrayant, impose sa beauté. 

MANZI : Je n’ai rien à ajouter au subtil descriptif de mon acolyte surtout que, jusqu’à hier soir, je confondais encore butô et bento. Autant vous dire que mon ressenti sera proche de celui d’un butor (grossier personnage sans finesse ni délicatesse) pas forcément buté.

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PASSE L’HISTOIRE À LA PASSOIRE :

MANZI : Dès minuit sonné, des margouillats tout blancs profitent du calme ambiant pour pondre des œufs un peu partout autour d’un lavabo et s’essayer à la natation synchronisée. Ouh là là… la vidéo assistance est demandée par la police anti clichés du Kaporal Zerbi pour affiner mon voyage intérieur.

ZERBINETTE : Unestu, traduire : « Des œufs, debout, par curiosité » raconte un voyage intérieur. Né dans les cendres d’Hiroshima, le Butō, mouvement chorégraphique japonais apparu dans les années 80, met l’accent sur les émotions des danseurs plus que sur leurs mouvements. Métaphoriquement, l’œuf, porteur d’un monde nouveau, est tour à tour objet de contemplation, de curiosité, de colère, de convoitise, et finalement d’unité. Les danseurs célèbrent sa présence, offrant leurs rituels à sa pureté. 

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CHORÉGRAPHIE AU BISTOURI :

ZERBINETTE : De « Bu », danser, et « to », taper le sol, cette pièce en un seul acte, orientée vers la lenteur, offre à nos regards 7 tableaux, qui figent l’âme du spectateur dans un état d’hypnose. Parfois, l’expérience angoisse. Les doigts teintés de sang des interprètes au crâne imberbe, d’une pâleur poudreuse de statue, inquiètent autant que leurs costumes. Moines à la carapace d’insectes, dont la toge ajourée frémit sous les secousses, leurs convulsions donne des frissons.

MANZI : Si le Butô se caractérise par sa lenteur – tous les spectateurs croisés m’ont avoué un petit passage dans les bras de Morphée – j’ai finalement été épaté par la richesse des gestuelles proposées (krump, danse de mains, grimaces, sauts athlétiques) et l’alternance de tableaux minimalistes épurés avec des transes subversives accélérées.

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CE QUI T’A MARQUÉ SANS T’ÉTALER :

ZERBINETTE : Le final. Les danseurs, dont le salut chorégraphié déroule une succession de poses figées ne sortent pas du cadre. Cette maitrise parfaite des corps et des visages, qui s’interdisent une émotion individuelle au nom de l’exigence artistique est une leçon d’humilité. Jusqu’à ce que la dernière silhouette s’éloigne dans la pénombre des coulisses, les œufs, debout par curiosité, exercent leur envoûtement magnétique sur un public captivé.

MANZI : Pour un spectacle monté en 1986 (!), il faut être admiratif de la modernité de la scénographie avec un travail autour de l’eau sublimant les ondes sonores, les ombres portées et créant une onirique sensation de flottement. Certes, la bande-son a un peu vieilli mais si vous vouliez de l’expérimental, fallait aller à Lespas pour sa soirée intersidérale. Intérieurement parti dans une déambulation au rayon Patchouli et Cosmogonie de Nature & Découvertes, j’ai été lentement envahi par un apaisement revigorant proche de l’ASMR.

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T’AS AIMÉ OU PAS ? SOIS FRANC OU TAIS-TOI

MANZI : Vous aurez compris que cette expérience spirituelle ne m’a pas transi et mon voyage mental est resté sur les cales. Pourtant, je suis sorti de cette danse initiatique un peu moins borné et cynique tant la symétrie et la répétition provoquent visuellement un sentiment de justesse aux vertus relaxantes étonnantes.

ZERBINETTE : Néophyte en danse japonaise, je craignais de m’ennuyer. J’ai été happée, chaque seconde étirant sa beauté. Costumes fascinants au tombé brillamment maitrisé, harmonie chromatique, intensité de la création sonore de Yas Kaz et Yoichiro Yoshikawa, la mise en scène d’Ushio Amagastu ne m’a pas traversée, mais bouleversée.

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