AUTANT EN EXHORTE LE VENT

Vendredi, c’était la première de Souffle au Théâtre Luc Donat, le dernier volet de la trilogie de Soraya Thomas, une plongée chorégraphique dans l’œil du cyclone questionnant l’intime et les liens du clan quand tout se déchaîne autour. Voyons si Manzi a été inspiré par « cette respiration offerte, ce temps de communion partagée entre les danseurs, l’espace et les spectateurs ». Retour sur l’œil du cyclone par l’œil de ce clown avec un seul objectif en ligne de mire : vous encourager à découvrir ce spectacle.

© Thierry Th Desseaux

J’aime bien titiller la faconde des intentions chorégraphiques qui ont cette fâcheuse tendance à brasser de l’air et me font personnellement freiner des quatre fers. En revanche, quand Soraya Thomas nous vend du vent, on attend un bel ouragan et, comme dirait l’autre: “ça risque de chier dans le ventilo”. Ou plutôt six ventilos pour être réglo, parfaitement intégrés à une exaltante scéno constituée de quatre poteaux, supportant de pâles rideaux ondulant poétiquement au gré de ces pales d’acier. Le plateau est en perpétuel mouvement et on ne s’ennuie pas un instant devant les circonvolutions de ce clan. Les six danseurs, quatre femmes pour deux hommes (on repassera pour la parité) évoluent dans ces espaces tantôt fermés tantôt ouverts, jonchés de cubes verts et les variations de néons lumineux multiplient les atmosphères. Si cette structure aérée occupe pleinement l’espace scénique, je suis également impatient de voir le rendu de sa mise en rue lors du Tempo 2022.

© Marie-Julie Gascon

Les spectacles utilisant l’éolien me font toujours du bien et, dans le panthéon de ceux vus à La Réunion, j’espère que vous avez eu le privilège d’apprécier Vortex et L’après-midi d’un foehn, les mythiques créations de Phia Ménard. Quand on va assister à une pièce chorégraphique de Soraya Thomas, on oublie la douce brise et on s’attend à endurer une forte bise. Cet engagement artistique, politique et moral induit des prises de risques et les ondulations proposées procurent toujours d’énergiques échauffourées. Je suis aussi expert en langage chorégraphique que Marine Le Pen se préoccupe des avancées sociales mais je peux vous dire que n’importe quel néophyte peut apprécier cette proposition de danse contemporaine tumultueuse et généreuse. Quand je me rends à une pièce dansée, je n’essaie pas forcément d’attiser la tempête sous ma casquette et je me laisse porter par la grâce, la force et la virtuosité des artistes.

© Marie-Julie Gascon

Ici, assez vite, les danseurs s’agitent quand certains courent en marche arrière et ses déplacements sont aussi hypnotiques qu’une course de girafe dans une savane d’Afrique. Les solos exécutés avec brio répondent aux battements collectifs plus synchros ; notre regard n’est jamais désorienté et constamment alimenté par cette trépidante simultanéité. La cohésion et l’intensité des chorégraphies est portée par une exigeante alchimie avec l’univers musical concocté par Thierry TH Desseaux dont l’alternance de nappes suspendues et de beats tendus fait naviguer le spectateur entre nébulosité et pied au plancher.

© Marie-Julie Gascon

Dans ce fracas de corps, on retrouve l’engagement de portés circassiens et les glissades ou autres tournoiements au sol n’ont rien à envier aux ondoiements des danses urbaines. Je repense à ce passage au cours duquel la danseuse Sarah Dunaud exécute une rotation sur les genoux à même le plateau sans protection. De même, ce tableau où sa tête désarticulée, heureusement soutenue par son comparse de survie, semble se décrocher de son buste, est impeccablement incarné. Selon moi, l’autre temps fort de cette pièce est le solo de Claudio Rabemananjara, dont la tension est amplifiée par la présence du stoïque Jules Martin soutenant à bout de bras ces gros cubes de pelouse dans un parfait déséquilibre, sans jamais vaciller. Le final où chaque interprète n’obtiendra son salut qu’en se hissant sur son propre dé chancelant nous change des épilogues du cirque contemporain où la force du collectif est systématiquement mise en avant. Cette interprétation de la résilience peut être ressentie avec pessimisme alors qu’elle dégage une puissance d’un rare pragmatisme. Sans souffler mots, Soraya Thomas délivre un travail rêche qui égratigne autant qu’il file la pêche. Ce ballet tragique mais harmonieux est accessible à un public averti ou juste curieux.