LOS ANJOSEF TO FRISCO

Il aurait été écrit en trois semaines, mais  fut retravaillé six ans par Kerouac, avant d’être accepté par un éditeur. Il est le graal de la Beat Generation, et de Florient Jousse, qui lui rend hommage dans Frénésies, une épopée fulgurante entre théâtre, musique et performance d’athlète, co-mis en scène par Frédéric Robin. Nous sommes partis Sur la route du Séchoir et de Lespas, et, une fois n’est pas coutume, la proposition nous a tous deux régalés. On t’explique pourquoi dans ce papier. 

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© Gilles Presti

ZERBINETTE : Sur la route, c’est d’abord une écriture fulgurante, proche de la transe. Ce qui m’a d’abord emballée, dans ce spectacle inspiré du roman, écrit par le comédien et metteur en scène Florient Jousse, c’est justement la performance théâtrale et narrative. Côté plume, Jousse sonne juste. Pas d’emphase, ni d’appropriation gratuite de l’esprit Beat Generation. Ce qui aurait pu être un écueil lorsqu’on s’inspire d’un tel mythe littéraire devient ici une force : La Réunion, point de départ et d’arrivée de l’odyssée, permet de contextualiser l’aventure qui entraine Thomas et Bilal vers le rêve américain. Des Mamies dealeuses aux chamans esthètes, en passant par les paumés psychotiques, sans oublier les envoûteuses, l’athlète Jousse, à lui seul tous les personnages, enchaine les métamorphoses à un rythme fracassant. Il n’y eut pas un mais une trentaine de Jousse dans ce palais des glaces où les corps bondissants nous ont régalés de ballets hallucinés. Tu m’as dit avoir eu plus de mal à entrer dans l’Odyssée. Qu’est-ce qui t’a gêné ?

© Gilles Presti

© Gilles Presti

MANZI : Tu m’avais tellement encensé la prestation de cet acteur-traileur que je me méfiais de l’aspect “performance” lié à cet archétype d’ultra-randonneur. Surtout quand ça commence avec cette incarnation de Bilal l’azimuté et son accent américain bien stéréotypé. Puis, la musique est venue propulser tous ces numéros avec une énergie de dingo. Même si les solos de saxo ont tendance à me filer des pustules, il faut reconnaître que le binôme Jousse-Jah Pinpin propose une complicité majuscule. Plus qu’un voyage initiatique c’est surtout une plongée fougueuse en musique dans l’Amérique. Dans un tempo halluciné, Florient Jousse, sans une erreur de diction, déclame sa partition à la perfection pour pantomimer l’addiction. Et dieu sait si imiter un mec complètement perché est un exercice risqué. Son corps en perpétuel mouvement personnifie cette virée frénétique en parfait accord avec la zique. Plus qu’un métronome communicatif, ce joker est aussi chanteur et je suis certain que toi, Zerbi l’amatrice de scat song, de free jazz et de The Voice a été bluffée par ces rengaines endiablées…

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© Gilles Presti

ZERBINETTE : Oh le fourbe. Tu ne m’en voudras pas de t’épargner mes réflexions sur le tempo pour te causer scéno. D’abord, le spectacle est plein de trouvailles ingénieuses. Avec trois feuilles de papier toilette et un mètre de Sopalin, Jousse matérialise l’asphalte et déroule les kilomètres. Les cartes suspendues, que j’ai d’abord pensées anecdotiques, se muent en fin de parcours en forêts tropicales phosphorescentes. Avec les lumières d’Alain Cadivel, le road trip bascule dans le monde d’Avatar, et ce retour futuriste au caillou réunionnais m’a enchantée. Pour répondre enfin à ta perfide question, le Pinpin crooner m’a autant plu que le jazz man, les deux se sont prêtés au jeu de la comédie avec une bonhommie assez réussie. Pouvons-nous conclure, chère tête dure, que cette création entre au parangon des pépites bongousiennes, au côté de Terminus et des Petites Conspirations

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© Gilles Presti

MANZI : '[voix caverneuse] Entre ici Frénésies! Je plussoie d’autant plus que ce saxophoniste m’a fait pogoter lors de mon insouciante jeunesse avec FFF (j’ai encore la baguette multi-dédicacée de Krishou) et que Florient Jousse est un des rares comédiens à ne pas prendre la mouche quand on sort notre tapette à critiques. Ça en dit long sur l’ouverture d’esprit et la maturité du garçon, en phase avec le message de liberté et de curiosité que cette pièce vient dispenser. Même les boomers emplis de nostalgie sortent de ce trip ragaillardis et la jeune génération y puisera de la motivation pour sauter la mer et revenir au pays avec les chakras bien ouverts.

Prochaine représentation: Kabardock, jeudi 18 novembre (19h)