LA ROUTOURNE N'A PAS ASSEZ TOURNÉ

Vendredi soir, Bongou était à l’Auditorium Pierre Roselli du Musée Stella Matutina pour écouter un exposé sur le Roger. Ou plutôt le R=OG, soit une formule scientifique permettant de calculer le seuil de risque d’un projet. Les circassiens de la compagnie Nawar se seraient-ils crashés lors de ce déroulé ? C’est le débat que Bongou te propose de mener, sans plus tarder. 

ZERBINETTE : De mon côté cher Manzi, tout avait bien commencé. Les deux olibrius en avant-scène nous préparaient un match, distribution de fanions et règles du jeu à l’appui, déroulant un bagout émaillé de références scientifiques farfelues, visant à nous faire comprendre l’importance du Roue ball (prononcer roubole) dans l’évolution humaine. Ça fleurait le quidditch et les gosses étaient en joie. Assis derrière leur table de conférence, je les ai écoutés avec plaisir retracer l’histoire de leur agrès, consistant à faire rouler un rond dans un carré équipés en joueurs de hockeys. Au lieu de se précipiter dans une démonstration de leur art, ces circassiens théoriciens du complot sont partis en roue libre dans un exposé foutraque et poétique qui m’a d’abord séduite. Jusqu’à ce que l’interminable égarement numérique ne vienne rompre le charme … D’ailleurs, je ne t’ai pas vu te connecter…

© Gilles Presti

© Gilles Presti

MANZI : En bon boomer teubé, j’avais paumé le mot de passe de notre compte Youtube… De fait, la séquence de théâtre d’objets à visionner en live sur mon téléphone est tombé allo et mon attention a définitivement sombré suite à cette fastidieuse pause d’inaction. Franchement, va-t-on au spectacle pour se replonger sur nos écrans? J’avoue avoir une foi aveugle dans les programmations circassiennes du Séchoir mais cette fois-ci, je suis passé complètement à côté du propos. Pour une fois, j’avais même lu le dossier artistique de cette création et je m’attendais à une énième et astucieuse déclinaison du rapport à l’autre, de l’interaction de deux êtres différents par le biais d’un agrès aux mouvements aléatoires et risqués. Or, j’ai eu droit à une conférence fantaisiste, plutôt bien ficelée, qui m’a rapidement désintéressé, la faute à un jeu de roubole trop long, abscons, peu vecteur d’émotions et à un jeu d’acteurs pas assez incarné par deux personnalités insuffisamment opposées. Après Antigone la semaine dernière, vas-tu me traiter de relou à chercher des poux à ces orateurs un peu mous?

© Gilles Presti

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ZERBINETTE : Pas du tout. D’autant que les rares instants dédiés à la pratique du roue ball n’ont représenté qu’un cinquième à peine de la durée de la représentation. Quel dommage, alors que ces deux athlètes, imbriqués à l’intérieur du cercle pour accomplir leurs circonvolutions aériennes, m’ont littéralement coupé le souffle. En particulier lorsque les deux combattants harnachés se sont démunis l’un l’autre de leurs protections, tout en poursuivant leurs rotations. Cela pose la question du mélange des genres, inhérent au cirque nouveau. Cette conférence gesticulée s’est éternisée pour éclipser le savoir-faire artistique. Je te pose donc la question fatidique. Recommandes-tu d’aller voir ces loustics ?

© Gilles Presti

© Gilles Presti

MANZI : Ah ouais direct, genre la fille a encore rencard à Télé Kréol ou kwé ? Le mélange des genres c’est un peu la marque de fabrique du nouveau cirque donc je ne peux pas reprocher cet assemblage même s’il y a un vrai souci de dosage. Tu l’as mathématiquement observé: la part de prouesses athlétiques est trop anecdotique alors que ces instants sont plutôt captivants. Je comprends tout à fait la tentative narrative autour de la roue Cyr, agrès intéressant mais possiblement redondant si on s’évertue à tourner comme un hamster dedans. Quand les parties de tchatche interactives s’éternisent, c’est notre attention qui se volatilise. Trop alambiquée pour les biquets et trop polie pour les avertis, cette exo conférence mériterait une écriture plus barrée et des personnalités plus trempées. Comme j’ai fait dans la langue de bois pour esquiver ta colle, je te laisse trancher avec ta prophétie circulaire.

© Gilles Presti

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ZERBINETTE : Mon cher Manzi, la réponse que tu cherches est dans notre papier. Cette proposition comporte trop de scories pour être aboutie. Mais nous ne demandons qu’à changer d’avis…

R=OG, Cie Nawar, à revoir le vendredi 15 octobre à la Cité des Arts (19h)