MANZI Y EST ALLÉ ET S'EST RÉGALÉ

Samedi, je me suis pris une double mornifle musicale avec l’écoute matinale de Fear Of The Dawn, le nouvel album de Jack White et mon concert du soir avec le groupe local Mouvman Alé. Comme on a plus de chance de voir Texas que Jack White à La Réunion, je vais essayer de vous convaincre d’aller voir ces quatre réunionnais en fusion. Attention, coup de cœur Bongou pour ce groupe-révélation !

Le Choka Bleu… drôle d’endroit pour célébrer la sortie d’un EP. Vu la configuration de la soirée, c’était pourtant une sacrée bonne idée et il faut remercier le PRMA de financer en partie ce genre de projet avec son dispositif Tournée Générale. Pour la faire court, il y eut trois temps : un concert suivi d’une kermesse dans un espace dédié « Le Futurosmok » animé par le groupe et la team de Markotaz Music puis la reprise du concert avec les titres phares de l’EP. Une vraie débauche de moyens et d’ingéniosité que j’espère voir renouveler grâce au soutien de programmateurs inspirés. Avec un budget limité, cette joyeuse bande se démarque par son art de l’aguichage avec des vidéos bien claquées pour faire monter la sauce avant la soirée.

Ambiance “Films faits à la maison” pour ces ingénieux teasing dont la mok en tôle est l’héroïne . Bongou valide carrément le détournement vu qu’il a consacré une double expo à ce parangon de la société de consommation. À l’inverse de cet objet, ces teasers ne sonnent pas creux vu que le public a pu réellement remporter ces fameuses conserves (plus d’une centaine) contenant plusieurs sésames : un QR code pour découvrir leur bandcamp et quelques graines péi à semer. Voilà un merchandising plutôt malin et contemporain pour faire comprendre à son public qu’il est acteur de la promotion de leur musique en distillant une petite pensée écologique.

Évidemment, je n’aurais pas vanté tout cet enrobage si leur concert n’avait pas été un pur moment de partage et de sueur. Déjà, il y a le leader, Franswa Virassamy-Macé, subtil croisement entre Animal (le batteur fou du Muppet Show) et un sâdhu un peu fou du Tamil Nadu. Vêtu d’une gabardine vintage rougeoyante et d’un kilt, ce gourou est aussi charismatique au chant, à la guitare acoustique qu’au tabla. Ce concentré d’énergie co(s)mique abuse certes d’onomatopées pour nous enjailler mais la tchatche galvanisée et l’énergie déployée sont hautement communicatives.

‘romans non-galizé’, c’est le nom qu’ils ont donné à leur style musical. T’y comprends que dalle ? Pareil alors je tente ce mot-valise pour la catégorisation : ‘Lindigoskakan’ pour la transe maloya proche de la bande à Olivier Araste et Ziskakan pour l’originalité des compositions métissées. Aux côtés de Franswa, chaque musicien, différemment accoutré, apporte son identité visuelle et sonore : Baptiste Clément à la guitare incarne l’africanité avec des rythmes salegy ou afrobeat ; Loïc Médoc-Elma à la batterie et au roulèr fait résonner le maloya tandis que le multi-instrumentiste Benjamin Rebolle, cimente et pimente l’édifice du haut de son perchoir numérique. Ces trois musiciens qui se sont rencontrés à l’EMA évitent l’écueil souvent brouillon de ces groupes encartés world fusion en injectant un psychédélisme musical radical.

J’en veux pour preuve leur morceau final Waadi qui débute en live par une longue introduction au bobre appuyé par des sifflements d’oiseaux en pleine forêt zen. Bienvenue chez les hippies avec en sus les polyphonies… Ah oui mais non car voilà que ce Waadi répété en boucle devient guttural. Du rayon huiles essentielles de Gamm Vert, nous voilà projetés en trois riffs de guitare, deux bruitages de sirènes de police et une massive descente de toms dans la cave suintante de quatre métalleux. Et vas-y que je tente un head-banging alors que je commençais tout juste mon stretching. Après ce break magistral, les instruments vont s’effacer et laisser place au seul kayamb pour galvaniser le chœur d’une assemblée convertie à ce kabar aussi métissé que barbare. Pas de pouce bleu en l’air mais des bras ouverts, des corps transis et des mines réjouies dans cette chaude nuit.

Mouvman Alé incarne cette jeunesse réunionnaise positive et décomplexée, racinaire et débonnaire, ancrée et connectée, légère et vénère, baroudeuse et travailleuse, bousculant un paysage musical qui attendait enfin de pouvoir jouer des coudes. Mes chers concitoyens, je vous en conjure, votez Mouvman Alé !

Prochains concerts :

Vendredi 15 avril à Saint Benoît (Le Bisik)

Samedi 23 avril à Saint Leu (Cirk Péi)