TUMI PREND DU VOLUME

Samedi soir, Tumi Molekane clôturait sa deuxième résidence à La Réunion en proposant ce concert-vidéo. Un concert-vidéo en avant-première internationale à La Cité des Arts, c’est quoi ce bazar ?

Le Fanal était clairsemé en cette soirée. Faut dire que l’intitulé de la festivité avait de quoi étonner : un concert-vidéo d’un artiste sudaf dont on avait quelque peu oublié le taf, pas le moindre petit clic pour choper un clip ni un bout de chansonnette à se glisser dans les oreillettes. À 20 boules la place, je peux comprendre qu’on hésite à vider sa besace. Du coup, je tente de freiner mes rimes et je vous raconte  la soirée en prime. Déjà, c’est la classe de pouvoir assister à une sortie d’usine d’un artiste international avant toute la planète musicale. On doit ce petit miracle à Sakifo Prod qui s’est associé à la Cité des Arts pour accompagner le come-back de Tumi. J’imagine que la mission principale de la Cité des Arts est plus axée sur les artistes locaux mais c’est plutôt canon d’élargir les horizons avec ce voisin africain. Quand t’apprends que la bande-son de ce concert a été orchestrée par James Poyser, le pianiste actuel du groupe de hip-hop The Roots, tu te dis que y’a moyen que le projet résonne un peu plus loin que l’Océan Indien.

Oui d’accord, mais est-ce que c’était bien ?

À la sortie du spectacle, premier débat : on a vu quoi ? Du théâtre slammé ? Un concert-vidéo scénarisé ? Je trancherai en vous avouant que je m’en taponne le beat car c’était classieux et généreux, avec du bon son et de l’émotion, des images raffinées et une mise en scène soignée. Surtout Tumi a prouvé qu’il cassait toujours le flow avec son incroyable débit même si sa performance relève plus du « spoken word poetry ». Si t’as rien compris, je te traduis : Tumi n’a pas bondi de long en large façon MC mais il a déclamé ses textes écrits, derrière des pupitres ou même assis, usant d’une cadence infernale pour distiller sa poésie. Si vous êtes en train d’imaginer Oxmo Puccino récitant une nécro, vous êtes loin du tableau tant le propos était intimiste, altruiste et humaniste.

Certes, fallait un peu causer anglais pour capter le message et apprécier les rimes. Je ne connais pas votre niveau TOEFL mais perso, j’ai quand même bien tout pigé même si je suis sorti un peu frustré. À noter que les chapitres étaient parfois traduits sur l’écran et un sur-titrage intelligent sera prévu pour les récalcitrants. Heureusement, quand la langue nous échappe, les images nous rattrapent et le super boulot du vidéaste, Tebogo Malope, est à souligner : il s’agit d’une vraie écriture cinématographique qui éclaircit et prolonge la narration. En aucun cas, le réalisateur ne s’est contenté de faire défiler des photos ou vidéos d’archive pour illustrer joliment le propos. La prouesse dure 45 minutes sans faiblesse et quand certaines paroles se retrouvent projetées en grand, c’est calé et tellement parfait que l’alchimie fait de suite effet. L’ histoire de famille que nous dépeint Tumi c’est le récit de l’exil, de l’intégration (on pense forcément à Petit Pays de Gaël Faye) et une authentique déclaration d’amour à son quartier et surtout à sa maman protectrice, dans une nation qui l’est beaucoup moins.

J’ai été ravi d’assister à cette proposition inhabituelle et exigeante dans le milieu hip-hop même si on aimerait que Tumi lâche un peu ses notes et parte dans des impros plus chantantes. Pour une première, on ne peut pas encore réclamer cette spontanéité et il y avait déjà bien assez d’émotions dans la fragilité.

Manzi

NB : Je ne suis pas fan du storytelling même s’il coule de source sur ce projet mais, par pitié, virez-moi cette appellation de “rap conscient” pour décrire cet évènement. C’est du rap intelligent et c’est déjà bien suffisant.