ZISTWAR DÔ

PASSE L’HISTOIRE À LA PASSOIRE

C’est une histoire à tiroirs. Au début, plutôt banale. Celle d’une jeune femme qui s’emballe. Elle Nicole, raide dingue d’un vieux. « Chat » qu’elle l’appelle. Comme pour apprivoiser  ce séducteur  iranien dont on pressent qu’il est puissant. Elle veut lui faire un enfant. En arrière plan, Stéphane. Le mari délaissé. À l’écouter, Nicole l’a abandonné. À ce drame s’ajoute la perte d’un bébé. Il aimerait qu’on soit de son côté.  La mère de Stéphane dénonce tant de frivolité. Au pays de la conjugalité, les femmes sont les éternelles sacrifiées.

Mais le discours obsessionnel ouvre une voie trouble. Le secret révèle un amour boiteux. Sous le duo bourreau/victime, un triangle amoureux. Comme au tribunal, les personnages font entendre, en aparté, leur version des faits. Chacun, de son côté, déroule son fil dans la toile d’araignée. Ils sont emprisonnés. Comme dans un thriller, la narration s’accélère. Dire la chute, c’est te spoiler. C’est diablement ficelé. Quoiqu’anéantis, on est captivés.

SOIS UN HÉROS, DÉCRIS LA SCÉNO

Pas grand chose sur le plateau mais chaque objet est intelligemment exploité. Une moquette pour absorber l’éclat du scandale. On reconnait  aux tapis le pouvoir de masquer les scories de nos intimités.  Sur cet espace, on peut encore sauver la face. 

Trois luminaires suspendus en diagonale rappellent métaphoriquement le triangle de Karpman. Victime, persécuteur et sauveur interchangent les rôles au grès des apartés apportant leur éclairage sur le fiasco. Ces lumières statiques sont à l’image de notre intimité : dans toute histoire amoureuse,  ce qu’on ne voit pas au début a pourtant toujours existé. Les comédiens jouent souvent face au public, nécessité liée à la nature même de l’aparté. C’était un pari risqué en raison de sa répétitivité. Le procédé a très bien fonctionné. Ce  face à face impose une promiscuité. Plus possible de se défausser.

ET CES COMÉDIENS, ILS ÉTAIENT BIEN ?

L’interprétation d’ Astrid Bayiha évite l’écueil ostentatoire. La direction d’acteurs nous épargne les effets de pathos malgré la gravité du sujet. Il aurait pourtant été facile d’y sombrer. J’ai aimé cette simplicité. Tout comme la capacité de cette comédienne à muter. Au début de la pièce, c’est une girl next door. Presque un personnage de série B, parler cru, stéréotypé.  Ennuyeuse avec son badinage de femme amoureuse. Mais le jeu de Bayiha, prend rapidement de l’épaisseur. Elle nous amène dans les profondeurs.  Comme elle met cette gravité à notre portée, on est parfois crucifiés.

La prestation d’Abdon Fortuné Koumbha plus dans l’excès dramatique, m’a moins emballée.

CE QUI T’A MARQUÉ SANS T’ÉTALER

La plume de  Françoise Dô. Qui griffe. Incise. Taillade le glacis de la comédie humaine. Quelle acuité.  Au pays de dame Dô, les femmes sont des vieilles peaux crevant de décrépitude intérieure. Emprisonnées par les dictats du jeunisme, elles se débattent avec l’ambiguïté de leur féminité, éternelles objets. La maternité détruit, la conjugalité empêtre dans le mal-être. Le paraitre domine, le racisme mine, les expatriés s’exhibent, nantis aux coeur des terres insulaires, les amours deviennent débonnaires, l’air qu’on respire est amer. La femme ne peut plus être mère. 

T’AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI

Au début, je me suis demandée où ces confessions de midinette allaient m’emmener. J’ai craint d’être assommée par les clichés du triangle amoureux. La surprise fut à la hauteur de ma méprise. Je suis conquise.

Zerbinette