LE DÉPART: BONGOU BALANCE SON KOUROU

PASSE L’HISTOIRE À LA PASSOIRE

ZERBINETTE : “Le départ” est un dialogue entre un homme et une femme, qui se retrouvent sur un quai de Calais, afin d’émigrer en Angleterre. Elle pour éviter les impôts parce qu’elle est trop riche, lui pour échapper à la misère. Voilà une rencontre inversée qui avait tout pour passionner. Dans le programme proposé par le CDNOI, on nous précise que Le départ est une fable : « à travers cette fable que l’histoire raconte ». Mais le metteur en scène réfute toute volonté de donner une morale à son histoire et c’est son droit. De fait,  cette non-fable sur l’immigration se refuse à toute prise de position. Soit. Les arguments avancés sont que le spectateur fera le chemin lui-même. J’ignore vers où. En effet, rien ne permet de saisir la psychologie de ces personnages. La narration ne livre aucune clef sur leur intériorité. Comme on m’a expliqué que la dimension psychologique du personnage n’avait aucun intérêt, je me tourne donc vers la deuxième ambition de cette proposition : « Ce spectacle est avant tout une comédie. Mais en filigrane de cette distraction, nous tendons des fils qui favorisent la réflexion ». 

Dans mes souvenirs de novice, la comédie génère le rire. Ni les mots ni les gestes de ces comédiens n’ont appelé à un quelconque frémissement. Quant à considérer le sujet de l’émigration comme une distraction, c’est une position qui en dit long. Passons. On nous invite donc à une réflexion en nous privant de fils psychologiques, narratifs, idéologiques, scénographiques, dramaturgiques. Comme je manque cruellement d’inventivité, je n’y suis pas arrivée. Au fil de ce dialogue assommant on attend, désespérément.

MANZI: Une fois n’est pas coutume, j’ai lu l’avis de Zerbi avant de me lancer dans mon retour moins érudit, convaincu que nous serions pour une fois du même avis. Je n’ai rien ajouté à ce qui a été si bien dit. Simplement, j’ai vécu quatre ans en Guyane où les problématiques sociétales, notamment d’immigration et d’opposition de classe sociale sont omniprésentes et je me demande quel est l’intérêt de nous embarquer aux portes de l’Angleterre alors qu’il y avait tellement d’histoires à raconter sur ce complexe territoire.

SOIS UN HÉROS, DÉCRIS LA SCÉNO

ZERBINETTE : Pas de décor. Il s’agit donc pour ces comédiens d’habiter l’espace vide, difficulté renforcée par le choix de les positionner statiques, face au public. Comme l’écriture ne génère rien qui puisse   nous accrocher ni dans le fond ni dans la forme, et que la création musicale se limite à deux morceaux dont on ne comprend pas la portée, la scénographie renforce l’immense ennui qui nous saisit. Petite digression pour préciser que face à la même incompréhension qui fut mienne lors de la représentation de "Cap au pire” interprété par Denis Lavant seul sous une douche deux heures durant,  je reconnais a posteriori que la fulgurance d’un texte et le talent d’un comédien suffisent à stimuler l’esprit. Pas ici.

MANZI: Je me suis emmerdé pendant une heure alors je ne vais pas perdre plus d’un quart d’heure pour décrire ce désert. Je me suis imaginé à la place de ces pauvres scolaires de Saint Laurent du Maroni qui ont sûrement découvert le théâtre à travers ce moment de dénuement. Mesurons la chance de nos petits réunionnais qui ont la possibilité de bouffer des pièces tellement plus abouties, pleines d’authenticité dans lesquelles ils peuvent se projeter et cogiter.

ET CES COMÉDIENS, ILS ÉTAIENT BIEN ?

ZERBINETTE : J’ai un infini respect pour le parcours de Kimmy Amiemba, comédienne dont le français n’est pas la langue maternelle. Sa présence m’a touchée, ainsi que son courage à jouer dans un spectacle aussi mauvais. Ainsi dirigés, les acteurs ne pouvaient pas nous captiver. Pas de déplacement si ce n’est un face à face fugace, pas de gestuelle, pas de variations de ton. Ce parti pris d’impersonnalité, offrant aux spectateurs deux comédiens désincarnés, presque robotisés alors qu’ils portent des problématiques sociétales qui semblent leur échapper nous inflige le supplice de les voir se noyer parce qu’ils ne défendent rien.

MANZI: J’ai fui le bord de scène car je suis persuadé que ces deux acteurs sont capables de bien meilleur. Ce jeu désincarné ne peut pas être jugé tellement il est écolier. La semaine dernière, Zerbinette s’en prenait gentiment aux performances convenues des acteurs de la pièce de Lolita Monga. En comparaison, aux Molières, je leur donne le prix d’interprétation.

CE QUI T’A MARQUÉ SANS T’ÉTALER

ZERBINETTE : Mario Batista a fait un choix. Celui de faire jouer le rôle d’une blanche à sa comédienne noire, et du « bronzé », puisqu’il ne veut pas dire noir, à son comédien blanc. Mais cette symbolique, qui pouvait faire réfléchir sur les clichés, n’a jamais été exploitée. En revanche ce personnage d’homme “bronzé” ne manifeste aucune réaction de rejet à entendre parler de ses femmes comme de marchandises sexuelles. Pire, il valide en les répétant les propos racistes, misogynes et discriminatoires de sa comparse blanche. Voilà donc un homme pauvre, émigré, qui en plus de sa détresse doit porter le fardeau de la naïveté. Que l’on prive, en raison de sa couleur (ou de sa pauvreté ?) de toute dignité. Pour une pièce qui évitait les clichés… Certes on peut se défausser, en arguant qu’en tant qu’auteur, on laisse courir ses personnages hors de sa portée. J’appelle ça de la lâcheté. 

MANZI: Ce qui m’a marqué c’est qu’on fasse traverser deux océans à cette pièce de débutant. Je suis le premier à m’offusquer quand on juge un travail artistique sous l’angle financier (vous connaissez le budget de Réunion Métis?) mais j’aurais préféré que le festival Mouvman Téat s’intéresse plus au théâtre qu’au mouvement. C’est honorable de créer des ponts entre les régions d’outre-mer si l’on s’assure de la qualité des pierres.

T’AS AIMÉ OU PAS, SOIS FRANC OU TAIS-TOI

ZERBINETTE : Mouvman Teat est un formidable festival qui met à l’honneur le théâtre local et d’ailleurs. Cette pièce travaillée en Guyane fait une impasse totale sur les problématiques de sa contrée. Certes ce n’était pas une obligation. Cependant, dans la mesure où la pièce était sélectionnée dans un festival lié à l’insularité, la question a du sens. Pour tenter de se justifier, le comédien Augustin Debeaux essaie de rétablir ce lien en expliquant que la Guyane est une plaque tournante de la cocaïne générant des migrations de bien et de personnes. Argument contredit par le metteur en scène qui réfute tout ancrage dans le réel, au nom de la fiction. J’ignorais que les deux fussent incompatibles.

Je m’avance sans doute en affirmant que cette pièce qui a déjà tourné n’a pas rencontré un franc succès. Certes, elle a le droit d’exister. Je me réserve celui de penser que La Réunion ne peut pas être l’endroit où l’on récupère les pièces dont ailleurs on ne veut pas.

MANZI: Ce non-évènement marquera le monde des arts vivants de son empreinte. Carbone.