ÇA BALANCE PAS MAL AU CDNOI

Jeudi 16 février au CDNOI, Bongou a passé une formidable soirée. Pourtant, le spectacle a causé chimio, crise cardiaque et angoisses existentielles. « La fin du début », le seul en scène explosif de Solal Bouloudnine est un marathon à travers les années 90, conçu comme un spectacle de variétés. Le fil rouge ? La mort de Michel Berger. Bousculant la chronologie, le comédien nous embarque dans une course hallucinée entre sketches caustiques et poésie de l’absurde. À s’en décrocher le palpitant, évidemment.

© Sébastien Marchal

ZERBINETTE: Je ne sais pas pour toi cher lecteur, mais en matière de théâtre, il me faut moins de cinq minutes pour savoir si je vais aimer ou non. « La fin du début » n’a pas échappé à cette règle. Dans un décor enfantin mais pas niais, le comédien nous attend, assis sur un lit, le visage barbouillé de crème. Très vite, il nous explique le titre de son projet. Un spectacle dont le début sera la fin, le milieu sera le début et la fin le commencement. Le ton est donné, le rythme aussi. Au delà des fantaisies de la chronologie, j’ai été époustouflée par la cadence de ce one man show. On y traverse cent vies. Du rabbin à Michel Berger sans oublier le chirurgien gouailleur, la mère juive, France Gall et Véronique Sanson. C’est un festival d’univers, de tons et d’accents, qui nous propulse dans une fuite en avant. Côté cynisme et humour noir, on est servi. Je suppose cher Manzi que tu as savouré autant que moi la parodie d’émission pédagogique pour expliquer les soins palliatifs aux tous petits, ou encore le sketch de l’infirmière en maternité en charge de faire choisir aux parents les dates et circonstances de la mort de leur enfant. Cette satire de notre société  consumériste abreuvée de toute puissance m’a enchantée. Quid de ton côté ?

© Sébastien Marchal

MANZI: Perso, comme pour un concert, j’aime justement être contrarié par un début peu convaincant et me faire happer par l’ingéniosité et/ou la virtuosité du spectacle: ce fut le cas avec ce seul-en-scène qui débute par la fin et dont je craignais un flash-back poético-nostalgique sur sa jeunesse dans les nineties. Or, dès la projection de cette réclame de la Renault 21 doublée à la manière des fausses pubs des Nuls, j’ai été convaincu que cette pièce allait partir dans tous les sens. L’esprit Canal - qui ne parle plus qu’aux vieux - est parfaitement ressuscité lorsqu’il narre son épisode de drague à la façon de Kyan Khojandi dans Bref. Sauf que Solal Bouloudnine le fait en live et qu’il n’a pas le droit de fourcher. Oui, la parodie d’émission jeunesse avec l’ersatz du ventriloque Jeff Panacloc est tellement plus punk que l’original : un vrai régal. Ajoute une dose de vomito et je me m’esclaffe illico. Après la représentation, quand Solal Bouloudnine m’a appris qu’il était déjà venu au Grand Marché avec Les Chiens de Navarre pour Les Armoires Normandes, la filiation m’a sauté aux yeux et cette galerie de portraits trash est incarnée avec ce même panache. Enfant, l’acteur nous avoue qu’il était fan de Patrick Bosso même si l’interprétation de plusieurs personnages m’a surtout fait penser à Élie Kakou. Si ces références font un peu flipper, explique-nous Zerbi comment il parvient à s’en démarquer et ne pas enchaîner des sketches non-connectés.

© Sébastien Marchal

ZERBINETTE: En clair tu me demandes comment la pièce échappe à l’effet kaléidoscope du comédien qui veut nous montrer tout ce qu’il sait faire, comme un certain possédé d’Illfurth... Pas évident lorsqu’on présente autant de personnages, de soigner les transitions. Je dirais que la fluidité repose sur la qualité de l’écriture, de l’interprétation et de la scéno, sans oublier le tempo. Ce qui permet de ne jamais perdre le timing, c’est qu’on nous le rappelle toutes les vingt minutes. Un comique de répétition gros doigt néanmoins utile pour séparer le temps de l’histoire de celui de la narration. Comment mieux illustrer la fuite du temps, qu’en nous propulsant dans cette frénétique course à la montre ? Rire de notre peur de mourir, c’est pas nouveau, mais c’est efficace. Sans compter la cocasserie de certains tableaux, frisant l’absurde. Je ne me remets toujours pas de la virée onirique chez Michel Berger avant le match fatidique, où France Gall refuse la partie de tennis en langage des signes. Derniers instants foutraques et désopilants : on voudrait crever plus souvent. Bref, continuer à parler de ce bijou serait trop en dire, alors je te laisse cher Manzi l’honneur de conclure, sans fioritures.

MANZI: Pour clore notre désaccord sur Les Possédés d’Illfurth, je pense que le sujet abordé par Solal Bouloudnine est plus léger qu’un viol à répétition et que son traitement est finement aidé par un tas d’artifices comme le décor de sa chambre d’ado dans lequel j’ai adoré repérer les vieux stickers, l’écran pour s’émouvoir devant des vidéos autobiographiques ou des archives captivantes de Michel Berger et enfin ce vieux radiocassette dont l’utilisation ingénieuse marquera la fin (ou le début) de cette pièce. Un peu à la manière de Sarah Connor dans Terminator, l’acteur va s’enregistrer un message au début du spectacle (ou à la fin, si vous me suivez toujours) pour combattre sa peur de “la finitude des choses”. Une heure plus tard, nous allons réécouter ce message en remarquant que des silences ont été prévus lors de l’enregistrement initial afin qu’il puisse proposer un ultime échange. Cet auto-dialogue entre ce Solal-enfant et le Solal-maintenant est franchement brillant et touchant. J’y ai perçu un hommage aux films Retour vers le futur, cette trilogie-culte pour tout adolescent des années 90. Quant au rêve délirant dont tu fais mention chère blondinette, on ne frise pas l’absurde, on y plonge avec hilarité et sagacité, en s’apercevant que la boucle est belle et bien bouclée.