Koubi or not Koubi ?

Vu aujourd’hui (le dimanche 11 février 2024) Les Nuits Barbares ou les premiers matins du monde d’Hervé Koubi à Champ Fleuri

Bon, je vais commencer par la fin. Des amies qui avaient vu la pièce chorégraphique la veille m’avaient dit tu vas voir, c’est exceptionnellement beau, et là honnêtement, je ne peux pas dire le contraire. Je suis sorti du spectacle assez bluffé par les circonvolutions de quatorze danseurs habillés avec des robes en bandits du désert comme dans Ali Baba et les Quarante voleurs, qui presque sans répit et de façon époustouflante et maitrisée ont pendant une heure réussi à élancer de façon parfaitement synchronisée leurs corps dans des voltiges amorties au sol de façon feutrée, glisser au sol, se mettre sur la tête en headspin mais de façon prolongée comme des derviches tourneurs, et faire danser leurs sabres scintillant dans les éclairages sobres ambiance nuit de la scénographie. Un ballet très aérien où Hervé Koubi développe des figures tirées des danses urbaines avec les ressources techniques de la danse contemporaine dans laquelle il a été formé.

À la présentation du ballet au public, avant la levée du rideau, le chorégraphe nous fait comprendre que son œuvre  puise ses sources dans sa culture familiale berbère algérienne et par-delà elle dans un territoire composite qu’est la Méditerranée. Jusque-là rien à dire, on ne peut qu’être subjugué par la maitrise des figures et des gestes qu’il développe dans son ballet. Comme annoncé dans son programme, le ballet fait clairement ressentir au public la peur ancestrale du Barbare, surgissant la nuit de nulle part, plus exactement de notre inconscient plein de préjugés, aussi attirant par sa beauté qu’il nous effraye, et qui finit comme pour Shéhérazade à nous jeter à corps perdu dans les bras du matin du monde. La peur du Barbare, la surprise face aux périlleuses acrobaties des danseurs, et la beauté des corps dansants tiennent en haleine le spectateur.

Le problème, et je reviens au début, c’est qu’immédiatement j’ai éprouvé un certain malaise à me retrouver devant quatorze mâles uniformément masqués, de même taille athlétique, caractérisés par leur musculature saillante et leur barre abdominale chocolatée. Aucune individuation des danseurs dans la pièce, qui tous sont au même format, comme des personnages anonymes qui auraient pu jouer dans Matrix. Quatorze c’est à peu près le nombre de joueurs d’une équipe de foot ou de rugby, mais là, sans ballon ...  et là je me suis dit que ça risquait de tourner rapidement à la baston. Mais où sont donc passées les femmes ? Et les petits et les corpulents que la danse contemporaine a depuis longtemps intégré au langage de l’expression, un doigt donneur dirigé vers le ballet classique ? Ça m’a rappelé les premiers pas de la danse moderne, lorsque Ted Shawn, un de ses fondateurs, qui après s’être amouraché d’un de ses danseurs s’était séparé en 1930 de sa compagne et partenaire chorégraphique Ruth St Denis pour monter une compagnie, la Men Dancers, exclusivement masculine et esthétiquement orientée vers la virilité.

Et puis ceux des compagnies de hip hop qui ont été au début des années 1980 exclusivement masculines avant de laisser entrer les femmes sous un mode « control » drastique jusqu’à l’invention du krump. De plus, je me suis dit que quatorze mâles armés de dagues, ça risquait de tourner rapidement à la castagne, surtout que dans la pièce à un moment, on a une scène qui semble tourner à l’émasculation d’un des leurs mais qui se termine plutôt bien. Mais J’avais tout faux, pas la moindre violence réelle dans cette chorégraphie masculine tout en douceur. Alors Koubi or not Koubi ? Je me pose quand même la question.