Clairement, cette édition est une franche réussite avec des choix judicieux et populaires pour les compagnies extérieures et des propositions locales exigeantes, certaines trop balbutiantes pour être complètement convaincantes. Une édition rappelant les heures fastes de ce mythique festival. Bongou vous brosse le tableau par ordre croissant d’ébaudissement.
Crédit : Leu Tempo 2025 - Cedric Demaison
Blanc-Flocon – Cie Roger
Ce conte déconstruit de Blanche-Neige est narré par une comédienne, grimée en femme de ménage, mixant plusieurs contes traditionnels sur sa table à repasser dans la tradition du théâtre d’objets. Ce repassage conscientisé a tout pour me plaire sur le papier et ce format théâtral (dont Leu Tempo s’est fait une spécialité) apporte souvent son lot de délires et références intergénérationnelles qui comblent petits et grands. Sauf que le rythme ne décolle jamais, le manque d’inventivité dans la manipulation d’objets du quotidien ménager (fers à repasser, cintres, serviettes, brosses, sous-vêtements…), le texte un peu trop lisse et l’interprétation pas toujours convaincante laissent un arrière-goût de dogmatisme stérile (renforcé par le speech final de la comédienne) à la place d’une parenthèse ludique, décomplexée qui fait bouger les lignes et vibrer les zygomatiques. Si vous êtes féru de théâtre d’objets inventif et corrosif, je vous recommande plutôt cette compagnie locale, la Compagnie Tamam et son entresort forain (nouvelles dates à venir)
Crédit : Leu Tempo 2025 - Cedric Demaison
My Moon, My Men – Cie Autre Ligne
On va encore dire que Bongou tape sur les compagnies locales mais quelqu’un doit bien s’y coller, non ? Ce n’est jamais facile de se retrouver sur un festival proposant des spectacles éprouvés, ayant déjà beaucoup tourné sur le continent et des propositions péi sortant du nid. Forcément, ces premières représentations sont vouées à s’améliorer et l’objectif n’est pas de les scalper avant leur maturité.
À vrai dire, j’ai aimé le travail des lumières, l’enchaînement rythmé des tableaux, la variété des disciplines circassiennes, le pistolet à vortex de fumée et la bande-son. En revanche, je n’ai pas été embarqué par la poésie de ce conte des origines et le manque de fluidité des mouvements ne m’a pas permis d’être subjugué par la qualité technique, le fameux effet « Waouh » procuré par la virtuosité et la grâce de ces interprètes. En revanche, le tableau final avec les trois artistes tournoyant à la manière des derviches tourneurs – marque de fabrique de cette compagnie - ponctue ce voyage onirique dans un tourbillon visuellement captivant.
Crédit : Leu Tempo 2025 - Cedric Demaison
Cie Qu’avez-vous fait de ma bonté ? - Kayanbolaz
Toujours sur la scène de Stella Matutina, je n’ai pas été convaincu par la rencontre de ces trois comédiens-musiciens et (ex) apprentis jongleurs. Le boulot derrière chaque enchaînement doit être monstrueux quand on part de presque zéro. Si je suis forcément admiratif du courage et de la pugnacité des interprètes, je me pose simplement la question de la pertinence du kayamb comme objet de jonglerie. Si j’entends sa valeur patrimoniale et culturelle, je suis moins certain de son exploitation dans cette discipline circassienne. Est-ce que ça viendrait à l’idée de ton pote toukoutoune saint-leusien de proposer un solo de bâton du diable avec une flûte à bec ou un duo de bolas avec des maracas ?
Surtout que le kayamb nécessite forcément un travail sur le rythme et c’est là que le bât blesse. Les multiples routines ne débouchent jamais sur un emballement percussif et j’ai eu l’impression d’écouter une répétition de batucada qui ne décolle pas. Finalement, les mouvements silencieux étaient plus élancés et les chorégraphies plus fluides et saisissantes. Difficile d’appréhender la relation entre ces trois protagonistes, souvent neutre, parfois burlesque qui provoque rarement l’empathie. Au début, je pensais que ces trois coupeurs de canne, armés d’un kayamb à la place du traditionnel sabre, allaient rompre la monotonie de leur labeur en se proposant des défis ludiques. En insérant de la complicité dans leurs démonstrations, la performance aurait gagné en humanité.
Ou alors fallait-il aller chercher de la narration dans l’âpreté de la répétition et in extenso rendre un hommage au maloya et à cette main d’œuvre exploitée ? En ce sens, ces laborieux auraient pu se présenter torse nu, corps transpirants à la tâche, magnifiés par un travail d’éclairage. En arborant ces tenues de scène dépareillées, il n’y a pas de prolongement visuel et de cohésion dramaturgique. L’ensemble reste aussi froid qu’une expérience de labo malgré les couleurs chaudes et monochromes du plateau. Ces réserves subjectives ne semblent pas avoir été partagées par une majorité de l’assemblée de vendredi soir, concluant la représentation par une standing-ovation. Le kabar final, dans une formation classique roulèr-kayamb-pikèr, a remis de la musicalité et de la proximité en reprenant des standards pour prolonger cette bonne humeur.
Crédit : Leu Tempo 2025 - Cedric Demaison
Cie Lantouraz – Pil / Éfas
Exceptée la Fèt Dann Somin, les représentations dans l’espace public sont devenues très rares car le subventionnement culturel n’est plus vraiment une priorité et jouer gratuitement a forcément un coût pour un festival. Ces impromptus théâtraux avaient toute leur place, surtout le samedi matin, quand ces saynètes étaient jouées durant le marché forain de Saint Leu et dont la question centrale était justement : « Quel marché a donc conclu notre monde ? » Je n’ai pas pu assister aux huit performances mais j’ai apprécié toutes les interprétations au plus près des badauds, forcément happés par cette proximité. La variété des thèmes abordés et des disciplines proposées mêlant danse, théâtre, harangue ou récit intime mérite d’aller y refaire un tour lors des prochaines représentations sur un marché de l’île (dates à venir)
Crédit : Leu Tempo 2025 - Cedric Demaison
Cie Réverbère – Ça va foirer
On entend trop souvent la rengaine : « Leu Tempo quand c’est gratuit c’est tout pourri ». Voilà le contre-exemple parfait avec ce seul-en-rue à l’ancienne qui sait conquérir une grosse jauge avec sa gouaille et une maîtrise de tous les artifices du théâtre de rue. Thomas Leterrier est fan de Coluche et ses petites morales ne sont jamais trop démagogiques car son personnage (qui n’en est même pas un) transpire la sympathie low-fi. Quand il fait endurer toute une série de défis de plus en plus cons et minimalistes au « Georges » qu’il a choisi dans le public, cela se fait en toute bienveillance sans cette culture du clash qui pullule désormais sur les scènes de stand-up. Les imprévus occasionnés par le jeu dans l’espace public sont sources de réparties qui font mouche car notre maître de cérémonie a des heures de spectacle vivant au compteur. Autodérision, humour régressif et philosophie pragmatique sont au cœur de ces démonstrations physiques et verbales. Un vrai moment de partage intergénérationnel qui se déroule au cœur de la cité.
Crédit : Leu Tempo 2025 - Cedric Demaison
Cie Dis Bonjour à la Dame – Frigo Opus 2
Enfin une proposition qui tient la route sous le Kiosk du parc du 20 Décembre avec sa configuration et son acoustique difficiles à occuper. Comme la Cie Réverbère, l’interprète Nicolas Ferré a des heures de vol d’interaction avec le public et, avant de faire décoller son frigo, il use avec brio d’un arsenal de recettes clownesques éprouvées. Encore faut-il avoir le talent, l’humanité et un sacré sens de la répartie mimée. Tours de magie, poésie à la sauce Chaplin, accompagnement musical italo-forain, deux bons barons dissimulés dans le public et clou final… bref, on ne s’ennuie pas une seconde avec ce bouffon et cela fait plaisir de retrouver un clown percutant à Saint Leu. Déso Titi Robert mais tes vidéos sur les réseaux sociaux ne sont pas encore au niveau.
Crédit : Leu Tempo 2025 - Cedric Demaison
Cie Cirquons Flex – Radio Maniok
Je n’ai pas eu le temps de retourner voir cette œuvre collective dans cette version frontale mais j’avais déjà écrit ce retour en 2023 pour ceux que ça intéresse.
Crédit : Leu Tempo 2025 - Cedric Demaison
Éric Lauret – Atan J’esplik
J’avais déjà vu la version longue de ce one-man show et j’ai enfin l’occasion de dire tout le bien que je pense de spectacle, franchement très drôle et instructif. La version condensée au plus près de son auditoire m’a encore plus convaincu et les anecdotes historiques s’enchaînent à un rythme effréné, mêlant savoir encyclopédique et vannes en créole. Rendre l’Histoire attrayante en étant drôle est un vrai défi. Éric Lauret s’en sort haut la tchatche, s’appuyant sur le succès de ces pastilles vidéo et de son phrasé identifiable. C’est dynamique, interactif et le récit de la révolte des esclaves de Saint-Leu en 1811 avait forcément toute sa place au Leu Tempo. De l’histoire engagée et populaire. Espérons que les programmateurs de l’île continueront de faire tourner cette forme (courte ou longue) dans un maximum de lieux, auprès des publics adultes et adolescents..
Vous pouvez prolonger votre érudition en achetant son bouquin.
Crédit : Leu Tempo 2025 - Cedric Demaison
Cie La Dépliante – Fidji
L’auditorium Pierre Roselli n’était pas idéal pour ce format de cirque gouailleur avec des interactions avec le public moins évidentes et spontanées du fait du manque de proximité. Sauf qu’Antoine Nicaud déploie un tel engagement physique que son bagou fait mouche à tous les coups. Bongou avait évidemment recommandé ce spectacle dans sa short-list et revoir cet hurluberlu fut une parenthèse absurde, aussi drolatique que cathartique. Cette version biscoto de “Serge le Myhto faisant du cardio pour soigner ses maux sentimentaux” s’intègre à 100% dans l’ADN de ce festival.
Crédit : Leu Tempo 2025 - Cedric Demaison
Les Vélocimanes Associés - Der Lauf
Comme annoncé, ce fut pour moi LE spectacle à ne pas louper. Je l’ai revu une deuxième et troisième fois avec une délectation exponentielle. Sur la forme, on ne peut être que chamboulé par cette esthétique clinique et chaotique. Exactement, le genre d’ovni scénique que je recherche au Tempo. C’est une proposition qui ne laisse personne indifférent car chacun peut y déceler ses propres sensations et interprétations. Les belges sont décidément les maîtres du surréalisme rigolard. Certaines personnes choquées par la destruction de quelques assiettes en nos temps résilients se trompent de combat. À choisir entre un spectacle qui casse quelques assiettes et 40 camions qui livrent des burgers éphémères au festival… moi je préfère que ces belges continuent de péter un peu de céramique pour faire réfléchir le public. Gaïa leur pardonnera.