LE JOURNAL DE BRIDGET JONES

Peintre de la solitude, de l’aliénation et de la mélancolie, Edgar Hopper est l’américain qui a inspiré Isabelle Martinez pour sa dernière création : « Les inédits ». La pièce est un feuilleté doux-amer, superposant des monologues tour à tour piquants, poétiques ou désenchantés. J’avais adoré « Petites conspirations », sur le même ton. Dans cet opus, Martinez sort de sa zone de confort, en intégrant à la scéno la création vidéo de Yann Péron, pour une cuisson plutôt savoureuse. Quelques regrets cependant tempèrent mon emballement.

On passe souvent un bon moment en compagnie de la plume d’Isabelle Martinez qui écrit elle-même les textes de ses pièces. Dans « Les Inédits », elle nous gratifie  de quelques truculents tableaux, qui prouvent que l’autrice est, à l’instar du peintre qu’elle révère, une fine observatrice de nos travers. Ses portraits de femme saveur Bridget Jones donnent lieu à de francs éclats de rire, tant elle croque avec justesse les frustrations de ces Cendrillons. Mention spéciale au jeu explosif d’Audrey Lévy déguisée en fée le jour de sa fête d’anniversaire, pour une plongée à gorge déployée dans la tragédie de son quotidien version Biba. On rit de ces amis qui n’en sont pas, des enfants dont on ne veut pas, et du gode ver de terre qui serpente sous les draps d’une quadra biberonnée au féminisme. On en vient à s’interroger sur les bienfaits de nos combats. Au pays de Dame Martinez, les princesses ont un coup dans le nez et du plomb dans les rêves.

Côté cour, les garçons sont pompistes, comme sur les catalogues de jouets de Noël. Ils rêvent de petites marchandes d’allumeuses qui font flamber leur cœur et pas que. Florient Jousse m’a émue dans cette peau d’humble. Son jeu tout en retenue a souligné la poésie de son personnage. Je l’ai moins aimé dans le survèt du geek exclu, j’avoue que cette scène m’a perdue ; ou dans le costard de l’époux adultère. Sans doute parce que ce comédien capable de nombreuses variations a joué ces trois scènes un peu sur le même ton.

Impression de monotonie renforcée par la construction de la pièce. En fin de spectacle, l’alternance des monologues, qui construisait déjà Petites conspirations, a modéré mon enthousiasme initial. Heureusement, la création vidéo de Yann Péron, qui immerge le spectateur au cœur des peintures de Hopper donne du rythme à la pièce et du corps à la plume. Tout comme ce défilé d’images de l’actualité en accéléré, fresque d’un monde obsédé par les plaisirs mortifères. L’imprégnation visuelle est réussie, on garde en tête certains tableaux incandescents, d’Audrey Lévy consumée par l’ennui à Florient Jousse dévoré par les flammes, sans oublier la scène finale de l’impossible rencontre.

Au pays de dame Martinez, les couples ne s’assemblent pas, les femmes ne s’épanouissent pas, les hommes s’effritent et les vies s’effondrent. Une fenêtre sur soi caustique et tendre. On se laisse prendre.